Drôle d’histoire que celle de Léo. Projet de passion porté par Jim Capobianco, vétéran de la maison Pixar, ce film centré sur les dernières années de la vie de Léonard de Vinci en France a mis plus d’une décennie à se monter. En partie crowdfundé, ce “blockbuster indépendant” au budget estimé à une dizaine de millions d’euros s’est construit autour de l’alliance étonnante de Capobianco, rompu à l’industrie hollywoodienne de l’animation, et de Pierre-Luc Granjon, héritier d’une forme d’artisanat français de la stop motion. Après une présentation il y a quelques mois au festival d’Annecy, Léo (The Inventor en version originale) est sorti au mois de septembre aux Etats-Unis, porté par les voix de Stephen Fry dans le rôle de De Vinci, Daisy Ridley en Marguerite de Navarre et Marion Cotillard pour jouer Louise de Savoie (sans oublier le génial et inénarrable Matt Berry en pape Louis X). En France, c’est André Dussollier qui prête sa voix au légendaire inventeur accompagné de Juliette Armanet tandis que Marion Cotillard rempile dans sa langue maternelle pour doubler la régente et mère de François Ier. Quelques semaines avant la sortie du film début 2024, le co-réalisateur français de Léo était de passage dans le nord de la France à l’Arras Film Festival, dans le cadre duquel cette interview a été réalisée.
D’où vous est venue l’idée de vous lancer dans la réalisation d’un film sur Léonard de Vinci? Comment vous êtes-vous retrouvés sur un tel projet?
Pierre-Luc Granjon : Je co-réalise le film avec Jim Capobianco, qui avait déjà réalisé un court-métrage sur Léonard de Vinci, mais en 2D. Le sujet était un peu différent aussi car dans ce film, Léo cherchait à apprendre à voler de différentes manières. Jim a toujours eu l’idée de faire un long-métrage en stop motion mais il n’en connaissait pas trop sur cette méthode d’animation, d’où son idée de faire appel à moi.
Léo n’est pas à proprement parler un biopic, le film se concentrant sur un épisode tardif de sa vie, ses années en France et ses relations tumultueuses avec François Ier et le pape Léon X. Pourquoi se concentrer particulièrement sur cet épisode de sa vie?
Jim voulait sortir de l’idée qu’on se faisait de Léonard de Vinci en tant que génie, le grand peintre, l’inventeur surdoué. C’est un personnage avec des failles, il était connu par exemple pour ne jamais rien finir. Même la Joconde, on est quasiment certains qu’il n’a jamais véritablement terminé le tableau puisqu’il a voyagé avec quand il s’est installé en France. Ce qui nous intéressait, c’était de filmer cet inachèvement, mais aussi l’espoir et la transmission du savoir, qui lui faisait reprendre vie.
Les vraies stars du film, ce sont évidemment ces petites marionnettes. Comment conjuguer la nécessité d’une ligne simple et lisible et la complexité des mouvements que permet la stop motion?
Sur le design de la marionnette de Léonard, on a souhaité rester le plus fidèles possibles à ce que Jim avait fait sur son court-métrage en 2D. La période de simple recherche du bon design a duré plus de quatre mois, on était trois ou quatre personnes dessus. Il nous a fallu plus d’un an pour concevoir toutes les marionnettes, tous les décors.
Et plus concrètement, quelles techniques utilise-t-on pour animer et faire prendre vie à ces petites figurines?
Derrière leur simplicité, les modèles des marionnettes sont assez poussés. L’intérieur est composé d’armatures à rotule en métal. Elles sont équipées de petites boules de métal qu’on pouvait desserrer ou resserrer pour que les armatures soient tantôt plus solides, plus rigides ou plus souples. Et pour tout ce qui concerne les accessoires, elles sont équipées de petits aimants qui nous permettent de bouger les pièces le plus facilement possible.
Avec Jim Capobianco, vous venez de deux horizons très différents du cinéma d’animation : lui est un ancien de la maison Pixar (il fut notamment co-nommé à l’Oscar du meilleur scénario en 2008 pour Ratatouille), et vous avez été formé dans le giron des studios Folimage de Jacques-Rémy Girerd (La prophétie des grenouilles, Mia et le Migou). Comment concilier ces deux visions a priori antinomiques entre ces deux écoles?
Dès le début, j’ai été fasciné par les références communes que nous avions autour de ce film. On est notamment tous les deux fascinés par le cinéma d’animation d’Europe de l’Est, par les films de Jiri Trnka (L’Année tchèque, La Main), Karel Zeman (Voyage dans la Préhistoire, Aventures fantastiques…). Et quand j’ai rencontré Jim pour la première, il m’avait confié qu’il avait vu et apprécié mes précédents films comme Les Quatre Saisons de Léon. J’avais du mal à croire que quelqu’un comme lui connaissait mon travail mais ça m’avait beaucoup touché.
Les habitués du cinéma d’animation auront aussi repéré au générique un autre nom qu’ils connaissent bien, celui de Tomm Moore, réalisateur entre autres de Brendan et le secret de Kells ou Le chant de la mer. Quel a été son apport à vos côtés sur le film?
Tomm est intervenu très tôt sur le film pour nous accompagner sur les séquences en 2D, qui nous permettaient de nous échapper des séquences du quotidien en stop motion et nous entraîner dans un univers plus onirique. Par la suite, il était trop occupé par ses propres projets mais son regard a été très précieux.
Si l’adorable petite marionnette de Léo pouvait d’un seul coup prendre vie aujourd’hui, que dirait-il aux jeunes spectateurs qui viendront découvrir un film comme Léo?
Le cinéma ouvre l’esprit des gens, et c’est ce que Léonard de Vinci a fait toute sa vie. Il y a une séquence dans le film où on pourrait presque dire qu’il a inventé le cinéma d’animation bien avant sa naissance. Si un jeune public peut avoir accès à toute cette palette que propose le cinéma d’animation comme Léo, ça permet aux enfants de découvrir que le monde est vaste, qu’il y a plein de choses à y faire et y inventer, au-delà de leur quotidien.
Léo, un film de Jim Capobianco et Pierre-Luc Granjon avec les voix d’André Dussollier, Marion Cotillard, Juliette Armanet, sortie en salles prévue le 31 janvier