Nimona : the queerest adventure of them all

Dans la catégorie « film ultra-méga-giga rescapé », Nimona pourrait très bien arriver tout en haut de la liste. Adapté du roman graphique éponyme de l’auteur américain ND Stevenson, le long métrage était en projet depuis 2015, quand la 20th Century Fox était encore elle-même, et que Blue Sky pouvait encore avoir la tête dans les nuages. Un petit rachat par ci et une petite fermeture de studio par là : Nimona semblait voué à ne jamais voir le jour.

De toute façon, le pitch posait déjà problème à la firme de Mickey. Dans un monde mi-médiéval, mi-futuriste, Nimona est un être capable de se transformer en ce qu’iel veut. Mais évidemment, quand on se conforme pas aux standards, on reste un monstre aux yeux de la société. La solitude de Nimona prend fin quand iel croise le chemin du chevalier déchu Ballister Boldheart, accusé d’avoir assassiné leur reine… Leur improbable alliance, envers et contre tous, leur permettra de découvrir la vérité. Mais il y a un hic : Ballister compte à ses trousses Ambrosius Goldenloin, autre chevalier bien aimé du royaume… qui n’est autre que son keum (et il est vraiment trop beau, c’est incroyable).

Et ouais les gars, Nimona c’est full queer. Et voilà ce qui a posé problème à Disney jusqu’à ce que le studio Blue Sky ne soit fermé en 2021, alors que le film était terminé à 75% et le doublage déjà assuré par Chloe Grace Moretz et Riz Ahmed dans les rôles principaux. C’est Annapurna Pictures qui a fait renaître le projet de ses cendres l’année suivante, sous l’impulsion de Netflix pour la diffusion. Ils ont fait confiance à Nick Bruno et Troy Quane, réalisateur des Incognitos, du même studio Blue Sky, pour reprendre la main.

L’an dernier, le duo avait enflammé Annecy en dévoilant quelques images du long métrage. En 2023, c’est le film terminé qui était présenté dans une grande salle de Bonlieu en transe, réservant une longue ovation aux réalisateurs et à l’auteur ND Stevenson. Au passage, Nick Bruno ne s’est pas privé pour en remettre une (très grosse) couche sur la douleur qu’a été l’annulation du film et la destruction du studio par Disney. Ambiance donc, mais la joie l’a emporté sur le reste. Oui, Nimona est l’une des aventures les plus ouvertement queer et inclusive qu’on ait pu voir dans l’animation. Et oui, il est important que l’on vienne prendre exemple sur ce film.

Si l’adaptation de Nimona prend quelques libertés par rapport au roman graphique de ND Stevenson, l’auteur a été pleinement impliqué dans la production du long métrage. Parmi certains de ces changements, le nom de l’un de ses personnages principaux, Ballister Boldheart. Si Nimona est rejeté.e par les autres parce qu’iel est un.e freak, « Bal » (c’est son p’tit surnom, donc on va l’utiliser gaiement) craint de ne pas être accepté en tant que chevalier en raison de ses origines modestes, et parce qu’il n’est pas un descendant direct de Gloreth, figure adorée du royaume. Au lieu de renvoyer indirectement à ses origines, le nom initial du personnage, Ballister Blackheart, a été changé en Ballister Boldheart, pour souligner la vaillance du héros, qui ne devrait pas être réduit à ses origines. Un choix somme toute logique, qui correspond parfaitement à l’esprit de l’œuvre, et ce pourquoi ND Stevenson utilise désormais ce nom pour désigner son propre personnage. Indirectement, on repense un peu à la volonté qu’avait Rian Johnson dans Les derniers Jedi de désacraliser cette figure du chevalier, en laissant entendre que quiconque ayant la volonté de maîtriser la Force – et ayant bon cœur, pouvait le faire.

On l’a dit, Nimona frappe par son esthétique médiévale-futuristico-punk. Si l’ordre est encore régi de façon féodale, toute la société connaît les codes de la vie moderne : véhicules volants, téléphones, télévision (dont une chaîne co-animée par Indya Moore et… RuPaul !), armes ultra sophistiquées… Le monde de Nimona grouille de vie, de couleurs et d’énergie. Nick Bruno et Troy Quane nous emmènent à deux cents à l’heure dans une aventure pleine d’action, à l’image de l’enthousiasme débordant de Nimona, et surtout de son envie de tout péter en permanence.

Malgré une histoire de trahison et de réhabilitation un peu classique dans son déroulement, Nimona tient son originalité en bien d’autres points. Tout d’abord car la romance entre Bal et Ambrosius n’est pas juste là pour faire joli : elle est au cœur du récit, puisque l’un pense avoir été trahi par l’autre. Au-delà de prouver son innocence, Bal tient aussi à sauver son couple. Ce qui pose problème dans le récit n’est pas l’orientation sexuelle de son héros, mais sa lignée (ou son absence de lignée). Nimona souligne aussi le fait qu’être queer suppose aussi d’être ouvert.e et en constante déconstruction : l’ouverture d’esprit de Bal et Ambrosius ne les empêche pas non plus de vouloir à tout prix comprendre « ce qu’est » Nimona, et si iel est « un monstre ».

C’est là que repose le plus beau message du film : Nimona est Nimona. Et Nimona est en changement constant. Quand Bal lui demande de rester iel-même, Nimona répond « mais ça veut dire quoi ? ». C’est aussi pour ça que l’on a préféré genrer Nimona au neutre tout au long de ce papier : malgré une voix féminine et des cheveux roses, Nimona fait abstraction lorsqu’on lui demande de garder la forme d’une « petite fille ». Quand on voit Nimona, on comprend bien davantage pourquoi le reboot de She-ra et les Princesses au pouvoir, également dispo sur Netflix et avec ND Stevenson comme showrunner, était aussi queer puissance mille. Espérons maintenant que ce film ouvre la voix vers une représentation des communautés LGBTQIA+ plus explicite, qui ne se limitera pas à quelques secondes d’inclusion facilement coupables au montage pour ne pas se priver des recettes de certains pays conservateurs.

Et si vous êtes sur Paris, profitez-en : Nimona sera projeté en séance exceptionnelle au Forum des images le samedi 24 juin, quelques jours avant sa sortie sur Netflix le 30 !

Nimona, un film de Nick Bruno & Troy Quane. Avec les voix originales de Chloe Grace Moretz, Rid Ahmed, Eugene Lee Yang, Frances Conroy. Sortie sur Netflix le 30 juin 2023. Présenté en Séance événement au Festival international du film d’animation d’Annecy.

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