Elemental : Nos différences ? On ne va pas en faire tout un fromage

En terrain connu

Elemental est le 27e long métrage d’animation des studios Pixar, et le quatrième à avoir une héroïne avec Rebelle, Dory et Alerte Rouge. Cinquième si on compte Cars 3, mais comme personne ne l’a vu et que tout le monde s’en fout c’est comme les arbres qui tombent dans la forêt.

Fidèle à cet esprit des studios qui s’amusent à mettre de la vie consciente là où il n’y en a pas (les jouets, les voitures, les morts, les émotions), et à opposer des personnages qui n’ont à priori rien en commun (Un ranger de l’espace idéaliste et un cowboy existentialiste, une voiture de course égoïste et un camion altruiste…), le long-métrage signé par le vétéran de l’animation Peter Sohn (il a travaillé sur presque tous les Pixar du 21ème siècle, dirigé le doublage anglophone de Ponyo sur la falaise et double Ganke dans le dernier film du Spider-Verse) présente un univers où les différents éléments sont des êtres vivants.

Tout commence lorsqu’une famille de feu traverse le monde pour venir s’installer dans une grande métropole où cohabitent des éléments d’eau, de vent, de bois… Cosmopolite est le mot d’ordre à Element City, qui est évidemment inspiré de New York. La grosse Pomme est sans doute la ville la plus emblématique de ce mélange des peuples, où les cultures italiennes, irlandaises et noir-américaines (même si l’accorder au passé serait hélas plus juste) sont voisines des quartiers chinois ou vietnamiens. Mais à Element City, les éléments de feu ne sont pas vraiment les bienvenus. Leurs flammes sont trop dangereuses pour les parties boisées, et les zones aquatiques risquent de les éteindre par mégarde. La famille s’installe alors dans les quartiers pauvres, en retrait, et montent une épicerie de toute pièce dans une ruine. Ce sera l’affaire familiale, et notre héroïne Flam reprendra le flambeau quand son papa sera vieux et fatigué ! Mais c’est sans compter sur sa rencontre avec un jeune et beau mec aquatique…

Roméo et Juliette prennent l’eau

A partir de là, Elemental joue sur deux tableaux. Le premier est le plus réussi, de loin : l’histoire de Flam qui rêve de reprendre la boutique de son père mais qui a du mal à se montrer à la hauteur, et sa relation complexe avec son paternel, sont au niveau des plus belles réussites du studio. On retrouve une dynamique scénaristique très pixarienne ici puisque Flam doit comprendre que ce qu’elle désire réellement n’est pas forcément le rêve de son père. A noter d’ailleurs que l’héroïne est doublée par Adèle Exarchopoulos dans la version française, un choix plutôt intéressant du fait du miroir biographique avec Flam : l’actrice française a en effet elle aussi travaillé dans la restauration pour son paternel.

C’est du côté romantique que le bas blesse hélas. Pas forcément parce qu’une amourette entre deux éléments opposés et incapables de se toucher serait trop cliché ou trop archétypal, mais plutôt dans son exécution. Cela manque d’une vraie richesse véritable, notamment dans le personnage de l’aquatique Flack qui est très franchement parmi les boyfriends les plus chiants de l’histoire du cinéma. Gentil hein, mais CHIANT.

Une romance qui ne m’a fait ni chaud ni froid.

Les limites de l’allégorie

A la sortie du trailer du film, beaucoup ont craint que le film se résume à une bête allégorie sur le racisme, un peu comme celle du studio parent de Pixar dans le film Zootopie. Et on y retrouve un peu de cela, en effet. Les éléments de feu sont ostracisés et vivent dans une forme de ségrégation, mais le film ne peut pas être compris uniquement sur un plan allégorique. Et c’est souvent le problème avec ce genre de lectures.

Car la grande différence entre une famille d’immigrés venant d’Inde et s’installant à New York dans les quartiers pauvres, et une famille de feu qui brûle des trucs, c’est que la famille de feu est matériellement dangereuse pour les autres. Pas la famille d’immigrés qui vient sans le sou rêver d’une meilleure vie. Contrairement à ce qu’en pensent les facistes qui défilent à l’aise dans nos rues à chaque opportunité pour déverser leur haine des étrangers. On ne peut donc pas penser la société présentée dans Elemental comme un miroir de la nôtre, au risque de sombrer à notre tour dans des considérations racistes. Il faut éviter le littéral et aller vers le philosophique, en gros. Surtout qu’en plus d’être considéré comme dangereux à cause de leurs flammes, les éléments de feu sont aussi en danger et inadaptés pour toutes les zones aquatiques qui risquent de les tuer, ce qui correspondrait plus à une réflexion sur le validisme que sur le racisme.

Il est donc de bon ton de laisser l’univers dépeint par les artistes de Pixar exister par lui-même, sans vouloir forcément qu’il ressemble de trop près au notre. C’est pourtant l’erreur que fait par moment Peter Sohn : en tissant des liens trop évidents avec des situations « réalistes », il fragilise son film, comme dans cette scène où Flam rencontre la riche famille de son copain, qui s’étonne de la voir parler la même langue qu’eux et sans accent. Tout n’a pas à être allégorique.

Vers la mort du studio Pixar ?

Elemental est le premier film Pixar entièrement original à sortir au cinéma depuis En Avant en 2020, qui n’a eu que quelques semaines en salles avant le confinement. Avant ça, il faut remonter à 2017 avec Coco pour trouver une production qui ne soit pas une suite comme les Toy Story et les Indestructibles. Ce n’est que le deuxième Pixar à sortir au cinéma depuis la pandémie avec Buzz l’éclair, qui fut un échec commercial (et un mauvais film, surtout). Entre temps Soul, Luca et Alerte Rouge, soit les meilleures films du studio de ces dernières années, sont tous sortis directement sur Disney + au grand désarroi des artistes du studio qui sont attachés à la salle de cinéma.

Une semaine avant le festival d’Annecy où est présenté le film de Peter Sohn, Disney a renvoyé 75 employés de Pixar, dont des cadres essentiels, présents depuis les premiers longs-métrages du studio. A l’heure où les équipes peinent à tenir le rythme face au démultipliement des projets (de nombreuses séries commandées pour la plate-forme Disney +), est-ce qu’un film comme Elemental serait capable de rappeler aux grands patrons de chez Mickey qu’ils ont de l’or entre les mains depuis bientôt trente ans ? Rien n’est moins sûr…

Elementaire, un film de Peter Sohn, diffusé au festival d’Annecy 2023 et au cinéma le 21 juin 2023

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