On arrive sur le dernier tiers du festival et la fatigue commence à se faire sentir. Si j’étais un personnage de dessin animé, mes cernes descendraient jusque dans ma barbe. Il faut aussi dire qu’hier soir plutôt que de dormir je suis allé à la grande séance événement du festival, qui a lieu tous les ans le mercredi à 23h/minuit :
Midnight Specials : WTF2023
Et là je vous entends déjà. « Oui mais Jim, c’est le journal de bord du jour 5 donc jeudi, mais là tu nous parles du mercredi soir, c’est n’importe quoi, on peut plus faire confiance à personne rembourse nous notre abonnement Cinématraque… » ce à quoi je réponds :
Oui, vous avez raison.
Mais.
- La majorité de la séance a lieu après minuit donc techniquement c’était jeudi
- Je suis rédacteur en chef je fais ce que je veux.
Des ballons sur scène et une ambiance de concert pour accueillir les réalisateurs des 13 courts-métrages du programme WTF, il faut être dans la salle pour y croire. On applaudit, on chante, on hurle entre les films et on rit très fort pendant… Le temps fort de la projection est certainement le court-métrage Uncle Babysitter 2 de Tung Yin Ng, qui raconte comment un oncle qui garde son neveu se bat pour la télécommande et finit par la bouffer pour empêcher le bébé de changer de chaîne. L’oncle veut mater des gros nichons, le bébé des films de Godzilla… Gober la télécommande aurait pu être une solution, mais l’oncle finit par gober le bébé aussi. Vous l’aurez compris c’est N’IMPORTE QUOI. Ultra dynamique, animé comme un anime survitaminé si les vitamines étaient de la coke à l’héroïne, on ne respire pas pendant trois minutes à force de rire. Un chef d’oeuvre, et je pèse mes mots.
L’autre moment très intéressant de la soirée est l’enchaînement de deux films autour des IA. Le premier, par Paul Utkay, a été réalisé en utilisant des images crées via stable diffusion que le cinéaste a ensuite déformé, mélangé, retravaillé pour représenter une nuit cauchemardesque (le film s’appelle Insomnie). Un court-métrage qu’il n’aurait pas pu faire seul sans utiliser cette technologie… Evidemment lorsqu’il l’a annoncé au micro, on a senti une certaine gêne dans la salle. Car si l’IA peut-être un outil effectivement utile pour un jeune animateur sans moyens, ce n’est pas vraiment cette utilisation là qui inquiète le milieu. Le génie de la programmation ici, c’est d’avoir placé juste après ce film Two Gracious Uncles Smooched to the Beat, de John Dunleavy. Il s’agit d’une conversation absurde et folle entre une IA qui tente de produire de l’art et un artiste qui tente de la comprendre. Mieux connaître son ennemi pour avancer, mettre en lumière toutes ses limites vis à vis de la création, ce en quoi il diffère d’un humain, pour finalement se retrouver sur le seul point commun entre le dessinateur et l’intelligence artificielle : « toi non plus tu ne sais pas dessiner des mains ? ». Brillant.
Il n’est pas surprenant de voir arriver le débat sur les IA dans la sélection la plus bizarroïde du festival. Pour son côté avant-gardiste, elle met le doigt sur ce qui bouge très (trop) vite dans le monde de l’animation en ce moment, sans donner de réponses.
Long métrage en compétition – L’officielle : Le Royaume de Kensuke
La vraie journée du jeudi commence.
Après avoir retrouvé les camarades Gabin et Océane, qui m’ont très gentiment aidé à me faire dédicacer mon exemplaire de la BD Nimona (vous êtes supers), on retourne dans la grande salle de Bonlieu pour un long métrage britannique en compétition. Le royaume de Kensuke est présenté en compagnie des deux réalisateurs Neil Boyle et Kirk Hendry, ainsi que les producteurices et le scénariste Frank Cottrell Boyce. C’est ce dernier qui a touché le public avec un joli discours axé sur sa joie de découvrir le film (en mettant l’accent sur la distance temporelle entre son travail d’écriture et le résultat final d’un film d’animation), et son message vis à vis de l’attaque de la semaine dernière à Annecy.
Adapté du roman de Michael Morpurgo (aussi auteur du Cheval de guerre que Spielberg a adapté) du même nom, Le royaume de Kensuke raconte l’histoire d’un gamin nommé Michael qui se retrouve sur une île déserte à cause du fait que c’est un insupportable petit con. Embarqué sur un bateau avec sa mère, son père et sa sœur, Michael cache à tout le monde qui l’a emmené son chien à bord. Lors d’une tempête, alors que son chien est en danger (à cause de Michael), il tombe par dessus bord (par sa faute donc) avec le chien et atterrit sur une île déserte. Enfin, pas si déserte : car il va y rencontrer Kensuke, un vieux monsieur japonais (doublé par l’immense Ken Watanabe) qui y vit depuis des décennies en secret, en harmonie avec la nature.
Si j’insiste beaucoup sur le fait que le personnage de Michael est insupportable, c’est parce que c’est vraiment le seul immense défaut du film. Le reste est super bien. C’est un stéréotype de gosse de riche pourri gâté qui ne comprend pas qu’on lui dise non pendant la première partie, et un incapable dans la deuxième. Ce qui en soi n’est pas un problème, un personnage principal passif ça peut toujours être intéressant. Mais là c’est infernal. Et c’est bien dommage car le reste est extrêmement joli. Tout ce qui concerne le personnage de Kensuke, son royaume à préserver, est magnifique.
Mais bon. Tu fais chier, Michael.
Les Trolls 3 : le grand retour du n’importe quoi
On profite d’un trou dans l’après-midi pour s’entretenir avec Zach Passero pour parler de The Weird Kidz, chroniqué dans le journal de bord Day 2, qui est super sympa malgré le fait que je lui avais donné un mauvais horaire pour l’interview (ici on est pro), et on enchaîne direct avec le grand retour de la franchise la plus pétillante et droguée de chez Dreamworks : Les Trolls d’Anna Kendrick et Justin Timberlake. Ou plus justement, des réalisateurs Walt Dohrn et Tim Heitz. Qui sont arrivés pour une conférence de 1h30 et qui ont tout fait en une heure chrono, pas parce qu’ils n’avaient rien à dire ou montrer, au contraire, mais parce qu’ils avaient trop d’énergie.
La productrice Gina Shay (qui nous a parlé de son enfance à Paris et de son amour pour La Boum et Jules et Jim, une vraie cinéphile comme on aime) a dirigé la conversation avec les deux réalisateurs qui nous ont présenté de nombreux clips non terminés du troisième volet, entre deux trois phrases pré-écrites et énormément de blagues lancées à deux mille à l’heure pour le public.
Pour être factuel : après la folie furieuse du deuxième Trolls, dont l’énergie psychédélique avait quelque chose d’orgasmique, exit le hard rock et welcome to l’ère glorieuse des boys band. Un choix rétrospectif (encore) logique au vu de la popularité ahurissante de la Kpop aujourd’hui. C’est le personnage de Justin Timberlake, Branche, qui a en fait été dans un boys band avec ses frères quand il était petit (attention aux jeux de mots dans le film sur Nsync, One Direction et les autres) avant d’être lâchement abandonné, devenant le troll grognon et mélancolique qu’il est aujourd’hui. Le but du film va être de rassembler le band à nouveau pour sauver l’un d’entre eux, capturé par des idoles sans talents qui le sniffe pour devenir bons chanteurs. En brisant un cristal qui l’emprisonne par le pouvoir de l’harmonie parfaite. Oui c’est toujours aussi déglingos, on dirait.
Les extraits vidéos montrés en revanche, même s’ils n’étaient pas terminés, n’étaient pas forcément au niveau ahurissant de n’importe quoi du second volet. C’est plus dans le discours des deux réalisateurs qu’on sentait que l’envie de pousser toujours plus loin les limites de ce qui est acceptable pour un film d’animation pour enfants, et on ne peut qu’espérer que le résultat fini sera à la hauteur de cette promesse. A noter d’ailleurs que pour ce troisième film, l’équipe a ajouté l’artiste Dave Cooper à son roster, qui a créé des concepts arts en 2D absolument dingues, et dont l’esprit est utilisé pour une séquence de… Prise de drogue hein, on va pas se mentir. C’est l’image utilisée tout en haut de l’article, ça vous donne une idée du délire. C’est un artiste canadien brillant dont le style s’approche de celui de Bosch (dont il a déjà copié le style pour une commande à Madrid, m’apprend Wikipedia), et ses concepts arts aussi. Demain matin je dois rencontrer les réalisateurs, ce sera l’occasion d’en savoir plus sur tout ça.
La journée de travail officielle se termine déjà pour moi, mais ce soir on doit se rendre à une fête organisée par Titrafilm… La décadence continue donc et les cernes mentionnés au début de l’article vont finir sous mes genoux d’ici à la fin de la semaine, mais on tient bon. Ce n’est que du plaisir !