Le Masque du Démon : Bava et le Diable

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Au cœur de la forêt, à l’abri des regards, l’Inquisition s’apprête à punir la princesse Ava et son amant Iavoutitch, accusés de sorcellerie. La scène a pourtant tout du rituel occulte : dissimulé derrière des branchages, le tribunal, dont les visages sont masqués par des capuches noires, marque la peau de la jeune femme au fer rouge. Quelques images suffisent – les grands yeux de Barbara Steele, le fer qui s’enfonce dans la peau et le brasier immense – pour explorer les territoires d’un imaginaire nouveau, quelque part entre l’expressionnisme allemand, le conte gothique et la peinture romantique. Tandis que l’épouvante au début des années 60 est dominée par le bestiaire de la Hammer, Le Masque du Démon marque les premiers pas du cinéma gothique transalpin. 

Enfin pas tout à fait. À l’âge d’or du cinéma populaire italien, alors en pleine expansion vers les marchés américains, Mario Bava collabore en tant que chef opérateur avec Riccardo Freda sur Les Vampires (1957), avec l’envie de faire un film fantastique à l’italienne. Après un tournage houleux et une dispute avec les producteurs qui voit le départ de Freda, Bava reprend les rênes (il aurait 48h pour terminer le film), mais ne sera jamais crédité en tant que réalisateur. Bien qu’il soit le tout premier film gothique italien, son échec commercial en Italie le fait tomber dans l’oubli. Il faudra attendre le succès du Masque du Démon, première réalisation de Bava pour lancer l’un des filone les plus populaires (ces films de genres, giallo, peplum ou western spaghetti dont la recette est exploitée jusqu’à la moelle par ses réalisateurs).

Adaptation libre de la nouvelle de Gogol, Vij, Le Masque du Démon se veut initialement être la réponse transalpine du Cauchemar de Dracula. Bava refuse le technicolor et les effluves de sang rouge pour offrir un noir et blanc contrasté, plus proche de l’expressionnisme allemand. Le résultat confère à l’image une aura surnaturelle, accentuée par l’omniprésence d’ombres qui contraste avec le visage blafard de Barbara Steele. Chez Bava, la peur est sublime, au sens romantique du terme. Face à la précision et à la fluidité de son image, travaillée comme une peinture, on ressent une beauté teintée d’effroi. Le film construit un espace figuratif et poétique qui s’affranchit de toute logique, pour enfermer ses personnages dans un dédale géant et baroque, où chaque porte, tableau, levier mène à un couloir secret. 

Le Masque du Démon offre le premier rôle à Barbara Steele, consacrée ensuite comme l’une des grandes actrices du cinéma horrifique de l’époque. Au milieu des ruines, sortie tout droit d’un tableau de Caspar David Friedrich, tenant des chiens en laisse comme des cerbères, Barbara Steele rayonne par sa beauté fantomatique. Faute de budget, elle joue un double rôle : elle est tantôt la sorcière tentatrice, dont les désirs sont sans cesse frustrés;  tantôt elle incarne la sage Katia. La lumière accentue cette ambivalence en soulignant les traits anguleux de son visage, et ses grands yeux noirs ravissent d’un érotisme funèbre. 

Dans la pure tradition gothique, Bava sème le trouble en jouant avec les tabous, qui constellent ses oeuvres par la suite : l’inceste, ici subtil entre le frère et la soeur, la nécrophilie (ensuite centrale dans Lisa et le Diable), voir le sadomasochisme, au coeur du Corps et le Fouet, toujours avec Barbara Steele. Alors que le cinéma américain sort péniblement des images policées du code Hays, Le Masque du Démon surprend par sa violence graphique. Les corps se décomposent, les morts sortent de terre, la chair est transpercée, brûlée, et tout y est montré sans concession. Les trucages impressionnent par leur modernité, et plus particulièrement celui du vieillissement sans coupe du visage de Barbara Steele, repris à l’exactitude de la scène de Les Vampires, dont il était déjà à l’origine. Bava en véritable artisan (avant d’être chef opérateur, il était chargé des effets spéciaux) pose les jalons du cinéma gore, dont Fulci se fera l’un des portes étendards les plus éminents quelques années plus tard. 

Déjà le Masque du Démon préfigure tout un pan du cinéma fantastique italien, où s’entremêlent voyeurisme érotique, sadisme et esthétique baroque. Au cours de sa carrière, Bava explore aussi bien le péplum, avec le très beau La Ruée des Vikings (1961), annonce les règles du giallo avec Six femmes pour l’assassin (1964), voire même du slasher dans La baie sanglante (1971). Cinéaste longtemps oublié, souvent éclipsé par Argento, Mario Bava mérite sa place au panthéon des grands artisans du cinéma d’épouvante, avec une filmographie qui n’a pas fini de révéler tous ses mystères. 

Le Masque du Démon, un film de Mario Bava, avec Barbara Steele, disponible sur Ciné +

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