David Robert Mitchell – Sous le mythe Hollywoodien

Dans le cadre du cycle Los Angeles au Forum des images, une rétrospective sur le réalisateur David Robert Mitchell a eu lieu. L’occasion pour moi de ressortir un article datant du 9 septembre 2018 sur son oeuvre pour le republier ici !

Notre rapport au passé et surtout à la pop-culture, forgé énormément par le cinéma, est aujourd’hui plus complexe que jamais. Ce qui hier était considéré comme de la culture « geek », comme des trucs de « nerd » est maintenant respecté et adoré de tous, et c’est une génération de cinéphiles acharnés et idolâtres qui maintenant crée. Dès lors, le passé au sens historique du terme est devenu un sujet extrêmement prégnant dans l’industrie du cinéma. La prolifération de remakes, sequels, prequels ou spin-off d’anciennes licences cultes que l’on croyaient pour toujours finies montre cette volonté des années 2010 de repiocher dans ce qui pourrait nous paraître suranné. Si on ajoute à cela tous les films et séries misant sur un aspect vintage afin de rassembler, collectionnant les morceaux des années 70 – 80 dans des bo que l’on prend ensuite plaisir à réécouter, nous voyons arriver ce que nous appelons la culture doudou. Il est bien difficile de se trouver une opinion dans cette affaire. Actuellement, devant mon ordinateur, entourée de posters Star Wars, Batman, d’une photo de Marilyn Monroe ou de stickers Mad Max – entre autres artéfacts – et écoutant un album de The Jesus and Mary Chain, suis-je la mieux placée pour aller pester contre un Stranger Things en clamant que ce n’est qu’un empilement désordonné de pop culture pour faire plaisir aux gens, sans réflexion ?

Le plan le plus TERRIFIANT du cinéma contemporain (It Follows)

C’est ici, qu’il faut, je pense, convoquer le réalisateur prodige David Robert Mitchell. Lui-même obsédé par le passé mais, il a quand même choisi de le questionner, ou du moins, de le gratter. En seulement trois longs-métrages (et un court malheureusement tout à fait introuvable), le cinéaste a imposé un cinéma résolument original et méta qui réfléchit énormément à l’industrie hollywoodienne. C’est ainsi qu’il s’est attaqué à trois genres très spécifiques, très codés et très représentatifs d’un cinéma populaire : le teen-movie pour sa première œuvre, le film d’horreur pour son film de confirmation et le film noir pour son dernier en date (et c’est toujours vrai en 2023, malheueusement, ndlr). Selon le synopsis, son court-métrage, déjà, parlait de la question du mythe contemporain en traitant d’une histoire d’amour sur fond de légende locale impliquant des visions de la vierge Marie. Dès son titre, son premier long métrage The Myth of the American Sleepover annonce la couleur : il considère que les soirées pyjama que l’on montre dans les films ne sont qu’une légende. Il a ainsi produit une sorte d’anti teen-movie loin des American Pie et compagnie pour se rapprocher d’une vision plus vraie de l’adolescence, mais sans aller dans la direction trash et coup de poing de Larry Clark ou l’exubérance sublime de Gregg Araki. David Robert Mitchell a ainsi réalisé un film sans climax, d’une véritable douceur, qui cherche la sincérité, la vérité de ces nuits mystérieuses où les garçons et filles s’enferment dans des maisons pour des soirées pyjama loin de tout regard. Dans The Myth of the American Sleepover il n’y a pas de sexe à outrance mais des baisers timides, il n’y a pas de beuveries dangereuses mais quelques verres de bières et un peu d’ivresse. Il déconstruit le teen-movie ultra populaire et le dénonce comme mythe par une errance faites de désillusions et de retournements. Par exemple, l’un des personnages est obsédé par une jeune fille qu’il a croisée au supermarché et il la cherche durant toute la nuit. Le film joue alors avec nos nerfs, les laissant se croiser de peu, multipliant les actes manqués pour nous donner envie qu’ils finissent ensemble, créant une histoire d’amour du hasard digne d’Hollywood. Or, quand il finit par la retrouver, ils n’ont pas grand-chose à se dire et l’histoire se termine avant de commencer.

« Elle a pris du shampoing solide ? En fait non, le célibat m’ira très bien… »

David Robert Mitchell s’est ainsi spécialisé dans l’art de nous mettre sur des fausses pistes. Under the Silver Lake, son film noir, est un entremêlement d’idées, d’enquêtes, de signes où tout fini par être faux, par dérouter. Le personnage marche, erre à la fois mentalement et physiquement et se retrouve dans un entrelacs de pistes et de complots plus improbables les uns que les autres. Les références dans ce film sont multiples allant de l’âge d’or Hollywoodien au jeux vidéo en passant par les creepy-pasta pour une immense salade de pop-culture qui n’est pourtant jamais utilisée gratuitement. La fausse piste que nous dessine sournoisement Mitchell avec ce film est celle-ci : ton amour déraisonné de la pop-culture ne fait pas forcément de toi quelqu’un de bien ou de talentueux. Il met alors en scène en personnage parfaitement médiocre, abject, sans charisme, rompant avec le mythe des Humphrey Bogart et compagnie, des gueules pleines de charmes, pour un Andrew Garfield au physique plus « simple » qui n’arrive pas à avoir la blonde fatale à la fin. Ici, le réalisateur pointe du doigt notre fétichisme et notre comportement guidé par les films pour dévoiler que cet enracinement à l’ancien empêche de créer. Il décortique la pop-culture pour rappeler qu’elle est aussi et surtout l’instrument du capitalisme. Faire des icônes libératrices de la contre-culture est possible, mais ce n’est pas en l’idolâtrant et la fétichisant comme on le fait. C’est, au contraire, en la décortiquant pour comprendre ses mécanismes que nous pouvons en faire les idoles de nouveaux mouvements artistiques, si ce n’est contestataires, du moins nouveaux.

David Robert Mitchell semble dès lors bien placé pour dire cela puisque son film d’horreur It Follows est devenu le fer de lance de tout un nouveau cinéma d’horreur. Replaçant le genre dans une vision plus politique et réflexive que spectaculaire et sanglante, It Follows est le papa d’un Get Out ou d’un The VVitch. En effet, It Follows s’érige comme un film très méta cinématographique qui interroge constamment le film d’horreur. Comme avec son premier film ou avec le dernier, le film s’oriente vers un principe d’anti-climax où l’errance et la fuite plutôt que la confrontation sera toujours de mise, évitant les grandes effusions de cris et d’hémoglobine – même lors de la scène finale dans la piscine qui est certes plus active et sanglante mais bien plus calme que ce qu’on a l’habitude de voir. It Follows base l’entièreté de son intrigue sur un code très précis du film d’horreur – et plus précisément du slasher movie – : sex = death. Les films d’horreur ont souvent été porteurs de visions très réactionnaires où l’héroïne, la final girl, s’en sortait grâce à sa virginité tandis que ses copines plus libertines étaient dans les premières victimes. Mitchell se tourne vers l’ancien, vers le code connu et cliché mais s’en sert pour réfléchir dessus et non l’utiliser bêtement. Avec son monstre qui se transmet par le sexe, sa créature-MST, Mitchell symbolise littéralement l’idée que le sexe conduit à la mort et dévoile par là-même le sexisme que cela implique. En choisissant de suivre une fille, il dénonce durant tout son film l’oppression qui pèse sur les femmes dans ce genre cinématographique, qui sont sans cesse condamnées à mort par leur simple envie de coucher. Le film construit alors un nouveau discours sur un genre, dénonce la majorité oppressive, en réussissant à montrer ce qui cloche dans l’ancien qu’on idolâtre pourtant énormément, tout en ne cachant pas un véritable respect pour les vieux films qui ont aussi amenés de grandes choses artistiquement.

Cette volonté d’It Follows s’inscrit dans un thème très récurrent chez Mitchell : la critique du male gaze. Le male gaze est une théorie développée par Laura Mulvey en 1975 dans l’article « Visual Pleasure and Narrative Cinema » qui explique que les films sont construits pour le regard masculin, faisant des femmes un objet passif et sexualisé et l’homme un humain actif qui contrôle. Ce male gaze donc, Mitchell ne cesse de le critiquer dans ses films. The Myth of the American Sleepover annule toute sexualisation des adolescentes en leur mettant de « vrais » pyjamas et en faisant de leur soirée des lieux calmes rompant avec de quelconques batailles d’oreilles en short courts. It Follows est un réquisitoire entier contre le male gaze dans le cinéma d’horreur, ce qu’il dévoile surtout avec une mise en scène absolument brillante. Son héroïne n’est jamais sexualisée sauf lorsqu’elle est contrôlée par les hommes. C’est ainsi qu’elle est dans une posture presque BDSM, attachée, longtemps en sous-vêtement lorsqu’un homme la ligote l’obligeant à se montrer. A cet instant, la caméra est même accrochée à la chaise roulante que le garçon contrôle, car il décide, avec son statut de mâle de contrôler le corps de la femme. Un autre exemple, très bref mais très riche en significations, est le plan du personnage de Paul qui regarde la petite sœur de l’héroïne.

Dans It Follows, la caméra est très objective, augmentant la paranoïa grâce à l’absence de point de vue. Or, il y ce plan subjectif où le garçon matte la fille et elle est sexualisée. C’est le subjectif masculin qui sexualise la femme. Cette idée est décuplée dans Under the Silver Lake qui abandonne entièrement la caméra objective de It Follows pour la rendre totalement subjective. La mise en scène épouse le regard pervers du personnage principal qui fétichise les femmes, observe leur corps et veux coucher avec. Avec ce personnage qui confond la réalité et le fantasme, qui vit sa vie comme un film, Mitchell montre une réalité tordue où les femmes sont des objets sexuels à sa merci. A la fin il finit sans celle qu’il s’était entièrement inventée, parce qu’elle a déjà choisi une autre vie loin de ses fantasmagories à lui. Encore, Mitchell gratte les belles affiches d’Hollywood pour appuyer sur le sexisme environnant dans ce milieu et qui se montre encore plus évidemment au sein des films. En mettant toujours en scène le personnage féminin type de la blonde sur laquelle les personnages masculins projettent tous leurs désirs, il accuse l’hyper-sexualisation, montre la souffrance du cliché de la femme fatale qui s’oblige dès lors à n’être un objet de sexe, et tout ça en utilisant de l’ancien, de la pop-culture, de la cinéphilie pour en faire un outil de dénonciation.

Il y aurait encore beaucoup à dire sur David Robert Mitchell. C’est un réalisateur résolument cohérent et fasciné par les mythes modernes dans tout leur paradoxe. Il les accuse et les aime et a trouvé une superbe façon de s’en servir. En utilisant sans cesse l’errance, la marche, il explore avec ses personnages l’histoire de notre culture actuelle et la déconstruit lentement mais sûrement. Son cinéma fait de motifs, la fuite, la blonde, les piscines est résolument obsessionnel dans ses thèmes et intentions, ce qui permet de le rendre si fascinant à étudier avec ses répétitions, ses évolutions, ses idées politique. Comme ses anti-climax, ses fausses fins qui concluent chacune de ses œuvres, l’étude des films de ce réalisateur de talent s’annonce déjà, et heureusement, sans fin. (c’est vrai, donc refais un film David par pitié ! ndlr)

Jolie illustration du style des rédactrices Cinématraque VS celui des rédacteurs.

The Myth of the American Sleepover, It Follows, Under the Silver Lake, des films de David Robert Mitchell.

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