Election 1 & 2 : Johnnie To s’en va-t-en guerre contre les triades

Comme Martin Scorsese, le cinéaste Hongkongais Johnnie To est surtout connu pour ses films de gangsters, au détriment de ses autres œuvres qui méritent tout autant d’être découvertes. Oui, s’il a signé d’excellentes comédies comme Justice, my foot! avec Stephen Chow ou même plus récemment un musical en 3D (Office, découvert pour ma part en 2015 à l’UGC des Halles un vendredi soir pluvieux à 22h, ce fut grandiose), on pense surtout à lui pour des films comme le diptyque Election, plongée sombre et aride dans la pègre hongkongaise. Ouvrez les yeux, cinéphiles moutons ! Johnnie To et Scorsese ont fait plein d’autres films supers bien !

Oui. Mais. En vrai de vrai. Ils sont super bien leurs films de gangsters à tous les deux. Les deux films Election que réalise Johnnie To en 2005 et 2006 sont parmi ses meilleurs films et les plus beaux du genre toutes nationalités et générations confondues. Acceptons donc de manquer d’originalité et replongeons-nous dans une saga particulièrement cruelle et dont la charge politique vénéneuse et acide continue à impressionner presque vingt ans après.

Election met en scène une triade très puissante et ancienne de Hong-Kong nommée Wo Shing au moment où elle s’apprête à élire (d’où le titre du film, parfois la vie est simple) son nouveau chef pour une période de deux ans. Mais Lok, le favori des patriarches, fait face à un adversaire qui veut absolument être élu à sa place, Big D (parfois la vie est moins simple). Ce dernier va tout faire pour empêcher Lok d’être élu… Avec les conséquences que l’on peut imaginer. Guerres rivales dans des lieux publics, affrontements en tous genres, trahisons et démonstrations de loyauté… Un film de mafia comme un autre quoi.

Sauf que pas vraiment. Au moment où Johnnie To se lance dans le projet, c’est parce qu’il a de vraies intentions de cinéma politique. Il interdit à son équipe de s’inspirer d’œuvres charnières comme Le Parrain ou de tout autre film occidental et leur demande de développer un vrai film de gangsters « new age », qui fait écho à la réalité Hongkongaise du début du 21ème siècle : la rétrocession à la Chine. Autrement dit, ancrer la triade dans une réalité socio-politique à un moment où Hong-Kong ne peut plus se permettre cinématographiquement d’exister dans un paysage à part, déconnecté et mythifié.

Chez Johnnie To, les triades sont vidées de tout faux-semblant de loyauté, d’une vision idéalisée du crime autour de rites et traditions qui forment un socle nécessaire à la glorification des personnages. Dans Election, le respect est mort. Point de gloire non plus ni de gangsters au grand cœur. Tout ce qui anime les personnages, c’est leur égoïsme, leur cupidité, et leur arrogance. Si Lok apparaît comme plus noble que Big D dans le premier volet (et pendant une partie du film au moins), c’est uniquement par contraste avec l’excentricité du second mais il ne faut pas s’y méprendre : tout le monde est pourri jusqu’à la moelle. Et la police aussi, cela va sans dire. Johnnie To sait à quel point la pègre est un problème politique, et c’est là ce qui fait toute la saveur du deuxième volet puisque le pauvre Jimmy ne peut pas se ranger et devenir un homme d’affaires réglo tout simplement parce que le monde éthique auquel il aspire pour se purger et fuir ses démons n’est qu’une chimère. Au fond le deuxième film ne fait que montrer pourquoi les triades existent depuis des centaines d’années en Chine, c’est un cercle vicieux, un cercle vicié et ceux qui veulent s’en extirper ne le pourront jamais.

« On voit rien, non ? »

« Ouais mais on soutient les actions de la CGT quand même »

Le réalisateur fait co-exister sans cesse dans le dyptique (qu’il tourne d’une traite par ailleurs, tant et si bien qu’il en devient difficile de les voir autrement que deux chapitres) le cérémonial et l’anarchie. La triade donne par exemple une importance démesurée à un bâton à tête de dragon, symbole autant qu’un prétexte narratif pour faire avancer l’histoire. Le nouveau chef est censé détenir le bâton, aussi Big D tente de le voler rapidement dans le premier film ; ainsi To se permet d’une part d’iconiser l’objet dans sa mise en scène et de nier totalement son pouvoir autoritaire dans son scénario.

Le contraste est d’autant plus fort que les passages qui célèbrent les rituels des triades sont les seuls à être mis en scène avec cette révérence très ironique. C’est en effet au montage que To dézingue dans tous les sens les traditions, puisque les scènes d’action, de meurtres ou de manigances sont au contraire filmées avec beaucoup plus de distance. Ce qui ne veut pas dire qu’elles ne sont pas très esthétisées ; elles le sont dans une certaine mesure, mais il demeure une froideur indéniable qui ajoute au côté quasi pamphlétaire de l’oeuvre.

Cette charge politique n’a pas échappé au pays chinois justement, qui a fait censurer largement les deux volets pour leur sortie en dehors de Hong-Kong. Quand on vous dit que le cinéma est une arme…

Election 1 & 2, deux films de Johnnie To réalisés et sortis en 2005/2006, disponibles sur Ciné +.

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