The Host : quelque chose bouffe les enfants

Dans la catégorie ressortie, on demande Bong Joon-ho. Dix-sept ans après sa sortie en salles, et quatre ans après le sacre de Parasite, le réalisateur coréen collabore de nouveau avec le distributeur The Jokers pour la version restaurée de The Host, son « film de monstre ». Quand on y pense, il y a toujours eu des monstres dans les films de Bong Joon-ho : du vrai tueur en série de Memories of Murder à l’industrie agroalimentaire dans Okja, en passant par la structure pyramidale du Snowpiecer, il y a de quoi faire (et de quoi dire).

C’est en grande pompe que The Jokers a célébré l’événement en faisant venir Bong Joon-ho pour deux masterclass animées par Thithi —  le Cannois — Frémaux, d’abord au Grand Rex puis à l’Institut Lumière. Deux rencontres qui ont fait salle comble, et qui ont également été le théâtre de la projection du film (à Paris, on a eu droit à The Host et à Parasite !). Si c’est pour Warner que le metteur en scène coréen réalise son prochain film Mickey 17, il reste particulièrement satisfaisant de voir sa confiance réitérée pour le distributeur indépendant français, qui a porté sa Palme d’Or en salles avec plus de 1.8 million d’entrées.

Dans The Host, le monstre est surnaturel. Il sort de la rivière à Séoul et s’attaque aux habitants (ou plutôt, il les bouffe bien salement). Gang-du (Song Kang-ho), gérant d’un snack au bord des quais, tente de s’enfuir avec sa fille Hyun-seo. Attrapée par le monstre, cette dernière disparaît et est présumée morte. C’est sans compter sur la détermination de Gang-du, bien déterminé à retrouver sa fille, et le soutien de son père Hie-bong (Byeon Hee-bong), son frère Nam-il (Park Hae-hil) et sa sœur Nam-joo (Bae Doo-na).

Je ne vais pas vous mentir : c’était la toute première fois que je découvrais The Host. Et très honnêtement, on retrouve tout de suite ce qui fait l’ADN du cinéma de Bong Joon-ho. On ne perd pas de temps, puisque le film rentre dans le vif du sujet. Dès son introduction, le monstre aquatique décime de nombreux séoulites et s’en prend à une famille que l’on vient à peine de nous présenter. Si cette entrée en matière est encore particulièrement impressionnante aujourd’hui, c’est par sa radicalité et sa violence frontale.

Cette rivière, c’est un peu un peu celle des Park, avec leur stand de snacks qui a bien du succès – des décors que l’on retrouvera dans la majeure partie du film, preuve en est que la famille bataille également pour son territoire. Tout ce beau monde se serait bien passé de tout ce bordel tant il a déjà bien des problèmes à résoudre. Père célibataire, Gang-du peine à entretenir sa relation avec sa fille Hyun-seo, tandis que son père lui colle aux basques pour s’assurer qu’il fait bien son boulot. Son frère se moque de lui, puisqu’il le considère comme le benêt de la famille et sa sœur archère, qui devrait être la fierté de la famille, ne se fait pas confiance et ne remporte pas ses épreuves. Quand Gang-du voit sa fille se faire engloutir alors qu’il pensait lui tenir la main, son instinct de père prend le dessus : il ne laissera rien ni personne se mettre en travers de son chemin pour tenter de retrouver sa fille.

Au lieu de faire de The Host un blockbuster grandiloquent à l’américaine sans grand intérêt, où le monstre aurait probablement été pourchassé par une armée de soldats, Bong Joon-ho a préféré mettre en valeur des quidams, qui avec le recul rappellent la famille pauvre de Parasite (et pas uniquement parce qu’elle partage l’un de ses interprètes Song Kang-ho). C’est face au silence des autorités et à leur absence totale d’écoute que les Park se retrouvent à faire cavalier seul, quand le reste du monde est bien trop occupé à analyser la naissance d’une potentielle nouvelle maladie générée par le monstre. Si après son introduction fracassante, ce dernier passe la majeure partie du film dans l’ombre, c’est pour exposer nos propres travers : notre volonté de toujours vouloir éradiquer ce qui nous semble différent plutôt que de chercher à le comprendre… et surtout notre aptitude à fermer les yeux sur les conséquences dramatiques de certains de nos actes. Car si ce monstre est surhumain, son origine elle… est belle et bien humaine.

Cette famille désespérée face au monstre, c’est aussi ce qui confère au film son mélange des genres toujours bien senti. S’il y a bien une chose que le cinéma coréen sait faire (et que bon nombre doivent lui envier), c’est son aptitude à insuffler de l’humour à des situations qui ne s’y prêtent pas du tout. L’affrontement final de The Host en est le parfait exemple : il s’agit du point culminant du film, qui rassemble tous les attendus du parfait film d’action (les ralentis, la propagation d’un produit chimique, les soldats qui explosent tout…), jusqu’à ce que les Park viennent ajouter leur grain de sel. Et c’est peut-être là ce qu’il y a de plus humain et de plus vraisemblable : eux aussi veulent leur revanche, mais ils ne sont que de simples humains. Face à l’inconnu et face à plus puissant que soi, on ne réussit pas du tout premier coup. On se gamelle méchamment, mais on se relève, et on continue. The Host, c’est avant tout une histoire de résilience. Et elle demeurera toujours universelle et atemporelle.

The Host, un film de Bong Joon-ho. Avec Song Kang-ho, Byeon Hee-bong, Park Hae-il, Bae Doo-na. Ressortie française en version restaurée le mercredi 8 mars 2023.

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