Animals : une nuit en enfer

En 2013, Nabil Ben Yadir réalisait La Marche : un film qui retraçait l’histoire de la première manifestation nationale contre le racisme en France, survenue fin 1983 après de nombreux faits divers racistes survenus pendant l’année. Parmi ces drames, des affrontements sévères entre la police et des adolescents de la banlieue lyonnaise, ou bien la mort de Toufik Ouanes, un enfant abattu par l’un de ses voisins en région parisienne. Dix ans plus tard, le metteur en scène retrace un autre drame qui a frappé la Belgique en 2012 : le meurtre d’Ihsane Jarfi, enlevé, torturé et battu par quatre hommes en raison de son homosexualité. Animals retrace ainsi les dernières heures de la vie du jeune homme, renommé Brahim dans le film, d’une soirée familiale jusqu’à l’horreur qu’il a subi.

Avec ses longs plans séquences, Nabil Ben Yadir nous place au plus près de son personnage et quasiment en temps réel. Ce qui commençait comme une journée des plus banales peut basculer d’un instant à l’autre. Après une petite soirée en famille et une virée dans un bar gay, Brahim embarque avec quatre hommes en voiture dans l’espoir de les éloigner des alentours, alors qu’ils draguaient lourdement une passante.

Avant que Brahim n’entre dans la voiture, on entrevoit déjà la vie d’un homme qui n’a pas vraiment sa place. Bien qu’il soit à l’anniversaire de sa mère, c’est souvent seul qu’il apparaît. Toujours en tension, toujours en mouvement, il entraîne avec lui la caméra d’un bout à l’autre de la maison. Le malaise est déjà là : certains membres de sa famille le rejettent car « ils savent », « son ami » doit venir à la soirée mais traîne et ne donne aucune nouvelle et Brahim fulmine. Malgré l’acceptation et l’amour des parents de Brahim, l’homophobie est déjà là dès le départ, insidieuse.

Une fois dans la voiture, la violence est toute autre : elle est verbale, physique, frontale. Pour le spectateur, rien ne sera épargné du supplice de Brahim, de la longue attente enfermé dans le coffre arrière du véhicule à sa torture. En raison de sa mise en scène extrêmement explicite de la violence, Animals divise radicalement : l’interdiction en salles au moins de seize ans n’est pas là pour rien. Certains retours questionnent l’intérêt de confronter le spectateur à toute cette violence. Lorsque les quatre hommes s’attaquent à Brahim, Nabil Yen Yadir laisse tomber sa caméra pour les téléphones portables des meurtriers, qui filment eux-mêmes leurs actes et s’en délectent du début jusqu’à la fin. Ces vidéos, qu’on pourrait ainsi retrouver sur des réseaux sociaux comme Snapchat ou n’importe où sur internet, témoignent d’autant plus de la bestialité des coupables et de la banalisation de leurs actes.

Pour autant, le film adopte la perspective de l’un des bourreaux lors sa dernière partie, quelques heures après que Brahim ait été laissé pour mort. Le plus jeune des meurtriers doit continuer à vivre avec le poids de ses actes lors d’une réception qui rappelle évidemment l’ultime soirée vécue par Brahim… et où l’on célèbre un mariage gay. Ce jeune, c’est le dernier à avoir craqué, le dernier à avoir porté les coups, par désir d’appartenance plus qu’autre chose : Animals exhibe aussi le point de bascule de chacun de ses tortionnaires, dont certains ne voulaient d’abord pas céder à la violence.

Alors oui, la violence d’Animals est insoutenable. Elle est cruelle. Elle représente pourtant une réalité indéniable et même si les faits se sont produits en 2012 : comme évoqué par Têtu en 2022 après une mise au point de l’association SOS Homophobie, de l’application FLAG et du Ministère de l’Intérieur, les plaintes déposées après des crimes et délits à l’encontre de personnes LGBTQI+ ont doublé depuis 2016. Si on a pu reprocher au réalisateur Nabil Ben Yadir de s’être approprié l’affaire alors même qu’il ne fait pas partie de la communauté LGBTQI+, le projet a été développé en collaboration avec le père de la victime, qui a lui-même laissé carte blanche au cinéaste et insisté pour que la violence de ce qui est arrivé à son fils ne soit pas occultée.

Animals, un film de Nabil Ben Yadir. Avec Soufiane Chilah, Gianni Guettaf, Vincent Overath, Serkan Sancak. Sortie en salles françaises le 15 février 2023.

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