Suis-moi je te fuis & Fuis-moi je te suis : l’amour vache

Actuellement disponible à la demande sur Ciné+, le diptyque Suis-moi je te suis et Fuis-moi je te suis appartient à deux catégories bien distinctes. Celle des « films sacrifiés » de la sélection du Festival de Cannes 2020 annulée pour cause de Covid-10… et celle des œuvres télévisuelles de réalisateur.ice.s japonais qui connaissent une sortie cinéma en France.

À l’image de la série Shokuzai, sortie en deux films en France ou du téléfilm Les amants sacrifiés (tous deux réalisés par Kiyoshi Kurosawa), il est ici question de la version cinéma de la série The Real Thing de Kōji Fukada, originellement composée de dix épisodes de vingt-trois minutes. Rassemblé en un seul film pour Cannes, le tout a ensuite été redivisé en deux parties pour sa sortie en salles en mai 2022.

Ne vous trompez pas dans votre ordre de visionnage : si vous commencez par Fuis-moi je te suis, vous allez tomber au beau milieu de l’histoire. Bref, suivez-moi, puis fuyez-moi, ok ? Quoiqu’il en soit, cela constitue un petit rattrapage de bon augure à quelques mois de la sortie de Love Life, le prochain film de Fukada, prévue le 14 juin prochain en France.

Vu les titres français, vous vous doutez bien de ce dont il sera question : d’amour. Mais pas n’importe lequel. Fukada nous fait suivre Tsuji (Win Morisaki, que vous avez peut-être vu dans le Ready Player One de Steven Spielberg si jamais sa tête vous dit un truc), un employé de bureau qui a tout l’air du gendre idéal. Le souci, c’est qu’il cache à tous sa relation avec Naoko (Kei Ishibashi), une collègue de travail avec qui il vit… mais aussi une amourette avec une seconde collègue Minako (Akari Fukunaga).

Comme si les choses n’étaient pas assez compliquées comme ça, Tsuji éprouve le besoin irrépressible de se rapprocher d’Ukiyo (Kaho Tsuchimura), une étrange jeune femme dont il sauve la vie sur un passage à niveau. Une jeune femme au passé trouble et qui n’a de cesse de disparaître. C’est donc ici que se confirme l’adage « suis-moi, je te fuis » et « fuis-moi, je te suis »…

À travers ces multiples romances, c’est bien « the real thing » que Kōji Fukada interroge : après tout, qu’est-ce que l’amour réel ? Pour Tsuji, l’autre adage qui pourrait bien s’appliquer pourrait être « pour vivre heureux, vivons cachés ». Lui-même n’a pas trop l’air de savoir ce qu’est véritablement l’amour, et la mise en scène de ses romances et échanges avec Naoko et Minako s’en ressentent. Quand il retrouve Naoko à son appartement, c’est plutôt elle qui mène la danse, beaucoup plus réfléchie que lui. Alors qu’avec Minako, c’est une relation qui semble beaucoup plus futile – uniquement charnelle. Mais quoi qu’il en soit, c’est l’ennui qui transparaît.

L’étrangeté d’Ukiyo bouleverse l’équilibre établi du jeune homme : à chaque fois qu’il pense comprendre un peu mieux celle dont il a sauvé la vie, soit elle fait preuve d’un comportement peu responsable, soit elle fuit… ou soit elle nous réserve une nouvelle surprise. À l’image de Tsuji, le spectateur assiste un peu impuissant aux nombreux retournements de situation qu’entraînent le passé d’Ukiyo : des liens étranges avec la mafia locale, une famille cachée pourtant désespérée de rester à l’arrière plan et le fantôme d’un premier amour qui plane encore. Plus on avance, et plus on se demande ce qui pourrait bien encore nous tomber sur la tête. Et pourtant, malgré toute cette étrangeté, rien n’arrête Tsuji. Il laisse paraître une candeur qui nous ferait presque oublier ses amourettes simultanées initiales : en dépit des circonstances, même les pires personnes semblent avoir droit à l’amour… et peuvent peut-être s’améliorer l’un l’autre.

Si le diptyque de Fukada nous perd parfois à force de répétitions et d’ellipses parfois brutales, il prend malgré tout aux tripes en raison de la détermination infaillible du personnage de Tsuji, brillamment interprété par Win Morisaki. D’abord parce que, franchement, le commun des mortels aurait vraiment laissé tomber une histoire d’amour aussi farfelue que celle-ci. Mais là n’est pas vraiment la question : aveuglé par l’amour, Tsuji ne se rend pas forcément compte du mal qu’il provoque malgré lui.

Quand on peut trouver ses premières amantes plus passives dans la première partie, Suis-moi je te fuis, celles-ci reprennent le dessus dans Fuis-moi je te suis, bien décidées à ne pas se laisser faire. Il est donc bien nécessaire de suivre les deux parties pour se faire un avis définitif sur l’œuvre et en apprécier les multiples retournements de situation, non seulement au sens scénaristique du terne mais aussi au sens littéral : tantôt Tsuji poursuit Ukiyo, tantôt ce sera l’inverse. On vous souhaite de vivre une romance un peu moins toxique que celle-ci, quand même.

Suis-moi je te fuis & Fuis-moi je te suis, de Kōji Fukada, avec Win Morisaki et Kaho Tsuchimura. Sortis en salles françaises les 11 et 18 mai 2022. Actuellement disponibles à la demande sur Ciné+.

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