Entretien avec Maasaki Yuasa à l’occasion de la sortie de Inu-Oh

C’est dans le petit salon d’un grand hôtel parisien, dont nous ne dévoilerons ni le nom ni l’adresse parce qu’on a déjà totalement oublié ces détails, que nous avons retrouvé Maasaki Yuasa au mois d’octobre de cette année. Derrière le bar de cette pièce richement fourni et longiligne, personne. Tout au fond, autour d’une petite table basse avec un thé posé dessus, nous retrouvons le génie japonais du cinéma d’animation et sa traductrice, masqués comme nous par précaution. C’est une journée chargée pour eux, puisqu’en plus des interviews programmés pour la journée, Yuasa devrait présenter une avant-première exceptionnelle de son nouveau film Inu-Oh au Grand Rex devant un public qu’on imagine très enthousiaste. Mais avant ces festivités, nous profitons d’un moment d’intimité avec l’un de nos idoles, pour parler de son dernier long-métrage (dont nous avons déjà publié notre critique ici) et bien plus encore.

Je tenais à commencer en précisant l’admiration de la rédaction de Cinématraque pour votre travail, et ce depuis vos débuts en tant que réalisateur. C’est justement en regardant la totalité de votre carrière que l’on comprend à quel point Inu-Oh est singulier puisque jusqu’ici, votre filmographie et vos séries sont ancrées dans l’époque contemporaine. Qu’est-ce qui vous a poussé à cet écart soudain ?

Je ne connaissais pas vraiment la période (le 14ème siècle et les années 900, ndlr) où se déroule Inu-Oh, c’était donc une belle occasion pour moi de découvrir et d’étudier quand j’ai lu le livre dont le film s’inspire. Et c’est en faisant cela que je me suis rendu compte qu’une des raisons pour mon ignorance est qu’on manque énormément d’informations concrètes sur tout cela. On connaît très mal notre Histoire ! Et donc je peux m’en servir pour imaginer, inventer, créer.

Est-ce que c’est justement cette distance avec l’Histoire et le flou de cette dernière qui vous permet d’être irrévérencieux, pop, libre dans la narration de votre film ?

J’ai quand même fait très attention à ne pas nier la forme théâtrale du Nô, et je suis parti des faits concrets qui sont avérés… Mais en même temps mon objectif était justement de ne pas trop suivre notre vision de l’Histoire. Je n’ai donc pas hésité à la montrer ainsi !

Concernant le Nô justement : l’expression musicale, théâtrale et artistique a toujours été importante dans votre œuvre. Le théâtre dans Night is Short, Walk on Girl, la musique dans Lou et l’île aux sirènes, la création dans Keep your hands off Eizouken! Et ici une conjugaison de tout cela dans Inu-Oh. Est-ce que cette inclusion de l’art dans vos créations est une démarche consciente ?

C’est un peu par hasard. J’aborde des disciplines artistiques, mais ce n’était pas vraiment par choix.

Et pourtant, j’avais l’impression que ces démarches artistiques au sein de vos diégèses servaient souvent à exprimer ce qui n’est pas toléré d’exprimer. Que cela soit des sentiments ou un propos politique. Et c’est d’autant plus probant dans Inu-Oh.

J’essaye toujours d’avoir plusieurs lectures possibles dans mes œuvres, plusieurs couches d’interprétations dans chaque scène. Ce que je voulais vraiment dire, c’est qu’il faut avoir plus d’imagination quand on parle de notre Histoire. Elle n’est pas ce qu’on imagine, souvent. L’Histoire a souvent été effacée, et si nous jugeons trop rapidement en oubliant tout ce qu’on ne sait pas, on ne se rend pas compte qu’on prétend tout connaître alors que pas du tout. Alors c’est important d’inventer aussi ! On peut très bien considérer le film comme la tragédie d’un artiste effacé par le politique, mais la scène finale se concentre plutôt sur le cœur du film à mes yeux, à savoir l’amitié entre ces deux hommes. C’est parce qu’ils se sont rencontrés que tout est arrivé, et ce message sur l’amitié est le plus important pour moi.

Ces rencontres entre personnages sont évidemment au cœur de toute votre filmographie. On retrouve certes souvent des personnages solitaires un peu ridicules, parfois moqués mais jamais avec la moindre once de cruauté, mais on voit aussi surtout l’épanouissement que procurent les relations humaines, qu’elles soit amicales ou amoureuses.

C’est vrai que j’ai souvent adapté des histoires où l’accomplissement passe par la rencontre. C’est quelque chose que je me dis souvent en tout cas, parce que moi-même seul je ne serais capable de rien. Alors je suis attiré par ces histoires là c’est vrai… Comme ce film d’animation américain en 3D avec un dragon, je ne sais plus le titre.

How To Train Your Dragon?

C’est ça ! J’adore ça.

C’est vrai que quand on lit sur votre travail, on remarque l’importance de la collaboration. Sur un projet comme Inu-Oh est-ce que vous avez tendance à déléguer certaines décisions artistiques, le char-design par exemple ou la musique ?

Bien sûr j’explique au début la direction artistique, et après je laisse une grande liberté à mes collaborateurs. L’important au final, c’est qu’on arrive tous au même point à la fin, donc si des suggestions me semblent pertinentes je les accepte.

Vous êtes aujourd’hui, on peut le dire, le cinéaste japonais le plus international. Dans votre manière de travailler et dans vos influences, ce qui est flagrant dans Inu-Oh. Avec ce contraste immanquable entre le théâtre Nô et les morceaux musicaux très modernes et occidentaux, on reconnaît du Jimmy Hendrix, du Queen… Vous semblez être encore curieux et prêt à découvrir des œuvres d’arts du monde entier, d’ailleurs on vous voit très régulièrement au festival d’Annecy, même quand vous n’avez pas de projet à y présenter. Qu’est-ce qui vous inspire ?

Concernant Annecy et les festivals en général, quand je m’y rends je vois très peu de films. Je préfère profiter du moment, découvrir le pays où je suis et sa nourriture, les personnes. Et c’est la rencontre avec d’autres cultures étrangères qui m’intéresse et me nourrit davantage que voir de film. Ca je peux le faire chez moi ! Mais c’est vrai que j’essaie de voir le plus de choses possibles. Moins que quand j’étais jeune, mais je pense effectivement encore très curieux.

L’auteur du roman Inu-Oh a dit en découvrant votre film qu’il était « monstrueux ». Sur la forme, on le comprend bien mais c’est vrai que vos créations s’intéressent souvent à des créatures difformes et métamorphes : qu’est-ce qui vous plait tant chez les monstres ?

Pour moi le monstre est synonyme de ce que je ne connais pas. Si je regarde un court-métrage ou quand je mange un plat pour la première fois, c’est comme aller à la rencontre d’un monstre. Et comme je préfère toujours découvrir de nouvelles choses, plutôt que de me reposer sur ce que je connais et apprécie déjà, je suis attiré par les monstres. En tout cas c’est cela que ça signifie pour moi.

Vous avez tendance à être très rapide sur vos projets et à enchaîner séries et films sans pause, et pourtant Inu-Oh a bénéficié d’un temps de développement plus conséquent que les autres. Est-ce qu’il y a une raison particulière à cela ? Une envie de prendre son temps ou bien est-ce accidentel ?

C’est un peu accidentel… Mais je tenais vraiment à soigner certains aspects du film donc je ne m’en suis pas plaint. J’ai été aussi obligé d’arrêter de travailler sur Inu-Oh pour d’autres obligations, en séries notamment, donc au final le temps de production n’a pas été si démesuré comparé à d’habitude. Mais il y a quand même eu quelques mois en plus pour finaliser, c’est vrai.

*On nous signale déjà la fin de l’entretien, avec l’étape traduction cela passe beaucoup trop vite hélas*

Puisque j’ai droit à une dernière question : vous avez souvent travaillé avec des collaboratrices, notamment avec Eunyoung Choi chez Science Saru qui a été votre productrice longtemps, et aussi la scénariste Reiko Yoshida sur quelques projets. Étant moi-même fan du travail de cette scénariste, je suis curieux de savoir comment vous vous êtes rencontrés, et comment vous avez travaillé ensemble.

J’avais rencontré Yoshida alors que je m’occupais du chara-design sur une série dont elle signait le scénario. Avant de la rencontrer, j’avoue que je trouvais rarement les scénarios intéressants dans l’animation… Mais en la voyant travailler je lui ai proposé de travailler avec moi. On a commencé sur Lou et l’île aux sirènes mais tout ne s’est pas passé comme nous le souhaitions, alors je lui ai demandé de retravailler avec moi sur le film suivant, Ride Your Wave. Je trouve qu’elle a une qualité d’écriture formidable, surtout quand il s’agit de structure. Ce qu’elle propose comme travail est très intéressant.

Inu-Oh sort au cinéma le 23 novembre 2022

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