Les grands débats actuels sur la santé du cinéma français dont on vous fera le cadeau de vous épargner les grandes lignes nous ont malheureusement écartés ces derniers temps de l’évolution de certaines lignes au sein de l’industrie, notamment autour du cinéma de genre. Cinéma d’horreur, fantastique, comédie musicale… Autant de types de cinéma encore trop souvent considérés comme parents pauvres du cinéma hexagonal, autour desquels de ponctuels efforts ont été tentés récemment. C’est d’ailleurs autour de la notion de cinéma de genre que s’articulent deux des propositions de cinéma les plus intéressantes de ces premiers jours de l’Arras Film Festival, qui célèbre depuis ce vendredi sa vingt-troisième édition.
Au milieu de quelques rendez-vous manqués (Chœur de rockers, comédie poussive mais moins catastrophique que prévue sur une chorale rock de seniors dirigée par Mathilde Seigner ; ou Neneh Superstar, pénible avatar de cinéma social feel-good sur le racisme à l’école de l’Opéra de Paris sorti directement d’un générateur de scénario d’élève de la Femis), l’ensemble de la programmation s’avère sur ces premiers jours assez honorable. On pense notamment à Les miens de Roschdy Zem, sympathique chronique familiale en mode mineur réalisé par l’un des acteurs les plus passionnants du moment. Si le film peine un peu à se débrouiller autour de son pitch de départ digne d’un Jim Carrey movie des années 90 (Sami Bouajila tombe un jour sur la tête et se met à insulter toute sa famille sans cesse) en multipliant les ramifications familiales superflues, il nous offre quelques beaux moments d’engueulade et un spectacle que ne bouderont sans doute pas bon nombre de professionnels de la profession : celui de voir Roschdy Zem engueuler un Vincent Maraval en pantacourt sur le plateau du Late Football Club de Canal (il faut avoir vu le film pour comprendre cette phrase, j’en ai conscience).
Mais les deux temps forts de ce premier week-end de projections, hormis la présentation de The Banshees of Inisherin de Martin McDonagh (Three Billboards outside Ebbing, Missouri) sur lequel nous reviendrons plus en détail dans un article dédié, sont venus de deux cinéastes qui ont décidé dans leurs nouveaux longs-métrages d’approcher, voire d’embrasser le film de genre. Le premier d’entre eux, En plein feu, nous vient de Quentin Reynaud, déjà remarqué par son précédent film 5ème set, remarquable portrait d’un tennisman déclinant et revanchard incarné par Alex Lutz. Les deux hommes se retrouvent dans ce film où Lutz et son père, incarné par André Dussollier, se retrouvent prisonniers d’un feu de forêt meurtrier dans une forêt du Pays basque. Sans en être véritablement totalement un, En plein feu lorgne ouvertement vers les codes du film catastrophe, offrant une plongée asphyxiante dans l’enfer du feu et de son inexorable propagation, comme une véritable descente aux Enfers. Sans se braquer face à l’obstacle, Quentin Reynaud empoigne son sujet à bras le corps avec une vraie générosité visuelle, construisant pièce par pièce une toile de fond tout en ocre et cendre.
En plein feu est en soi un projet très difficile à résumer (et sans doute à vendre pour ses producteurs) : se limiter au pitch initial ne saurait lui rendre service tant il laisserait de coté le versant psychologique et hallucinatoire du film, mais en dévoiler davantage risquerait de gâcher au spectateur la plongée dans les méandres de son héros qui en fait toute la singularité. Tout juste dira-t-on que Quentin Reynaud a forcément dû voir Gravity d’Alfonso Cuaron comme toute personne de bon goût tant il s’en inspire pour dépeindre les failles de son protagoniste, tout en laissant le spectateur sur le qui-vive quand à la nature de ce qu’il voit à l’écran. Film de fantômes et de visions, parfois un peu maladroit dans son écriture trop appliquée qui n’offre pas autant de mystère que ce que le réalisateur souhaiterait créer, En plein feu reste une proposition vivifiante car incarnée, de ce genre de films qui provoquent immédiatement l’envie d’un second visionnage et de discussions théoriques passionnées entre festivaliers.
Autre film présenté ce samedi à Arras, La Grande Magie de Noémie Lvovsky quant à lui ne laisse aucune ambiguïté quant à son appartenance au cinéma de genre puisqu’il appartient à la nouvelle vague de films musicaux à déferler dans les salles ces derniers mois avec plus (Tralala des frères Larrieu) ou moins (Don Juan de Serge Bozon) de réussite. Ces trois films sont d’ailleurs les trois récipiendaires du soutien financier du CNC pour le financement de projets de films de genre lors de son édition 2019 consacrée à la comédie musicale. Commission où siégeait un certain Arnaud Rebotini… dont on retrouve le nom au générique de La Grande Magie, dont il co-signe la bande-son.
C’est cependant une autre patte musicale que porte le septième long-métrage de Noémie Lvovsky puisque les musiques sont des créations (quasi toutes) originales du groupe Feu! Chatterton et de son leader Arthur Teboul, qui tient un petit rôle à l’écran. Adaptation libre de la pièce de théâtre La Grande Magia d’Eduardo de Filippo, La Grande Magie est avant tout l’histoire d’une disparition et d’un trauma. Un soir, une troupe de petits truands itinérants donne un spectacle de magie dans les jardins d’un grand hôtel particulier. Au cours du spectacle, Marta (Judith Chemla), épouse du très misanthrope et jaloux maladif Charles (Denis Podalydès), disparaît sans refaire surface. Entre le mari éconduit et éperdu et les bonimenteurs cherchant à sauver leur tête, un grand numéro de tromperie se met en place.
Avec sa patine Belle Epoque et ses multiples artifices de mise en scène (montage accéléré, mime, effets de fondu…), La Grande Magie joue résolument la carte de la fantaisie, voire du conte, que Noémie Lvovsky croise avec un goût pour le quiproquo inspiré du théâtre de boulevard. Le résultat est à double tranchant : les numéros musicaux, dont le film est un peu chiche, finissent parfois par s’accumuler sans interruption à l’écran, faisant naviguer le film sur un faux rythme. Les boniments du faux professeur et vrai escroc incarné par Sergi Lopez marchent un temps, mais finissent par lasser à force de se répéter. Et le choix d’une forme chorale, souvent essentiel dans la forme musicale pour introduire une variété d’univers et de tessitures, finit par diluer en sous-intrigues une histoire qui n’a pas vraiment l’air d’aller quelque part.
Il en découle un film très disparate, fait de bric et de broc, un empilement de saynètes inégales comme les morceaux qui les accompagnent. Si La Grande magie a par moments les airs d’un vanity project un peu pataud, piégé dans un système dont il ne parvient pas à de dépêtrer (le dénouement du film, brutal, nous laisse sur notre faim), il sait aussi par moments saisir ses spectateurs, quand il se retrouve animé par une joie simple, par la poésie très terre-à-terre du spectacle forain. C’est un coup l’immense François Morel qui se prête à jouer le cerf pour épater la galerie. C’est parfois le minimalisme spectaculaire d’un bref numéro de mime en musique de la nouvelle incontournable du cinéma français Rebecca Marder, comme un présage fugace du destin. Le casting, royal (Damien Bonnard doit être le quatorzième rôle du film en termes d’importance, c’est dire), y met bien du sien, quand bien même il peut donner l’impression de ne jouer que pour un public aussi mince que celui du jardin de leur hôtel.
Ça ne suffit sans doute pas à faire de La Grande magie un très bon film, tant ses pièces composites et mal assorties finissent des fois par se détacher les unes les autres (une pensée pour le pauvre Micha Lescot par exemple). Il y a de l’envie, de la grâce, de la magie peut-être même parfois. Mais aussi des coutures tellement grossières qu’elles donnent l’impression d’une kermesse un peu longue où on se force à sourire devant un magicien dont le chapeau laisse dépasser les oreilles de son lapin. « Quand on joue du chien à poil dur, il faut ménager son archet » écrivait Jacques Prévert dans Compagnons des mauvais jours, que Feu! Chatterton reprend pour l’occasion de ce film dans une version sublime, sortie depuis longtemps déjà sur leur dernier album Palais d’argile. Peut-être La Grande magie aurait dû aussi apprendre à jouer du caniche. C’est une musique qui plaît, paraît-il.
En plein feu de Quentin Reynaud, avec Alex Lutz et André Dussollier, sortie en salles prévue pour le premier semestre 2023
La Grande magie de et avec Noémie Lvovsky, avec Denis Podalydès, Judith Chemla, Sergi Lopez, en salles le 8 février