Sur un chemin forestier, un petit garçon suit le chemin de l’école lorsque tout à coup il s’arrête, aperçoit quelque chose, semble transi de peur, et fait demi-tour à toute hâte. C’est la première scène du dernier film de Cristian Mungiu, R.N.M. Elle introduit parfaitement l’analyse minutieuse du réalisateur roumain de la peur qui empoisonne son pays.
Dans un petit village de Transylvanie, une entreprise de fabrication de pain se décide à employer des travailleurs sri-lankais pour s’agrandir et bénéficier de subventions européennes. L’arrivée de cette main d’œuvre bon-marché est particulièrement mal vécue par l’ensemble des habitants. Csilla, gérante de l’entreprise essaye de faire face à la fronde, de son côté Matthias, son ancien amant et père du garçon apeuré susmentionné, essaye de retrouver sa place dans le foyer qu’il avait abandonné pour trouver du travail ailleurs. Les enjeux ainsi posés peuvent laisser craindre un film didactique sur le racisme. Le scénario fait d’ailleurs penser à certains égards au dispensable Alamo Bay de Louis Malle. Mais ce serait sous-estimer le talent de cinéaste de Cristian Mungiu, qui démontre une nouvelle fois qu’il n’est pas un invité récurrent de Cannes pour rien.
Un couple d’autant plus touchant qu’on ne comprend pas bien ce qu’ils font ensemble
Il arrive que les réalisateurs glissent dans leurs films une image de la façon dont ils envisagent leur art. Dans R.N.M, le père de Matthias doit faire un examen médical, et la caméra s’attarde sur l’image de son cerveau obtenue par I.R.M (la signification de ce mystérieux titre en français). C’est en effet à une auscultation des maux les plus profonds de son pays que s’attelle Mungiu. Dans une Roumanie tiraillée par ses multiples identités, les personnages semblent retrouver dans la xénophobie un semblant d’union face à un monde qu’ils ne maîtrisent pas. Pour donner corps à ce constat, Mungiu plonge au plus profond des rancœurs et des ressentiments. Un incroyable plan-séquence d’au moins 15 minutes, au cœur du film, enferme dans une salle des fêtes l’ensemble du village pour un débat public qui devient l’exutoire des frustrations qu’on devine emmagasinées depuis des années. C’est à coup sûr l’un des moments les plus marquants de ce festival. Personne n’est épargné par le cinéaste, à part peut-être les Sri-lankais eux-mêmes qui n’ont au bout du compte pas grand-chose à voir avec ce qui se trame. La précision des dialogues et l’intelligence du propos laissent voir sans didactisme les faillites du modèle de l’Union européenne fondé sur la libre circulation des personnes mais surtout des marchandises. Les Roumains doivent aller à l’étranger pour trouver du travail décent et devenir les étrangers dont ils ne supportent pas de voir leur miroir chez eux dans l’immigration asiatique.
Face à cette absence de futur qui les terrifie, ils se tournent donc vers le passé, souvent fantasmé, et tirent leur fierté de leurs origines quitte à attiser les tensions entre les ethnies, nombreuses en Transylvanie. La caméra de Mungiu saisit cette angoisse permanente et cette obsession identitaire qui semble dévorer toutes les relations humaines. Les différentes langues se confrontent (le hongrois et le roumain notamment, mais le français et l’anglais y tiennent une petite place), sans jamais réussir à se comprendre, engendrant la méfiance et la crainte. La peur est ainsi omniprésente dans le film sous toute ses formes. Matthias, qui tente de guérir son fils de son traumatisme imaginaire, semble se balader en permanence avec un fusil sous la main, prêt à lutter contre une menace mais sans savoir laquelle. Dans ce climat de tension permanente, R.N.M se permet même deux très subtils détours par le fantastique, comme pour mieux souligner que si les peurs des villageois se basent sur des fantasmes, leurs conséquences sont bien concrètes.
Avec ce constat lucide et glaçant sur les maladies qui rongent nos sociétés, Mungiu démontre sa virtuosité de metteur en scène. Sûrement pas le film le plus feel-good du Festival mais un candidat évident à la Palme d’or.