Comme Antigone, De Gaulle, et Mario, le cardinal Melville a dit non. Pourtant choisi par ses pairs pour devenir le nouveau pape, il fait un refus d’obstacle au moment de se présenter à la foule en délire et s’enfuit. Ainsi commence Habemus Papam, film de Nanni Moretti sorti en 2011.
Est alors convoqué au Saint-Siège, l’auto-proclamé meilleur psychanalyste du monde, profondément athée, incarné par un Moretti plein d’auto-dérision, pour venir au secours de la Sainteté paralysée, jouée par le regretté Piccoli. On pourrait alors croire que le film va se diriger vers un tête-à-tête psychologique, une discussion profonde et lourde sur la foi, le pouvoir, l’homme et dieu. Moretti convoque cette image le temps d’un plan où les deux hommes se font face à face. Mais très vite, il fait un pas de côté et détourne son propre film. Le cardinal Melville semble ainsi s’échapper de ce scénario cousu de fil blanc et le film trouve alors sa propre tonalité qui le rend si fascinant.
Habemus Papam est en réalité la plus belle adaptation de Bartleby au cinéma. Moretti ne s’y trompe pas en donnant à son cardinal le nom de l’écrivain américain de cette nouvelle incontournable. Dans celle-ci, Bartleby refuse le monde qui l’entoure par cette phrase magnifique, presque formule magique, « I would prefet not to ». Dans Habemus Papam, c’est d’abord par un cri que le cardinal exprime son refus. Un cri d’angoisse qui vient du plus profond de lui-même. A partir de là, il sait qu’il « préfère ne pas ». Et il fuit.

Ceci n’est pas le film
Le film se divise en deux. D’un côté le pape déambule à la recherche de ce qui le bloque. De l’autre, le psychanalyste s’amuse chez les cardinaux. Les scènes de vie au Vatican, entre ces cardinaux coincés qui attendent que le pape se décide apportent une légèreté délicieuse au film dont l’organisation d’un tournoi volley-ball est le point d’orgue absurde. Cela contrebalance parfaitement dans le rythme du film, le désarroi du cardinal Melville, qui semble ne savoir qu’une seule chose : il ne veut pas être pape. Piccoli, dans l’un de ses derniers grands rôles, transmet avec brio la confusion de ce vieil homme qui fuit le plus grand des honneurs. Son regard aussi déterminé que perdu porte le film et nous transmet son état d’esprit. Qui n’a jamais rêvé comme lui ou comme Bartleby de dire non et d’arrêter ? Sans raison, sans justification. C’est ce fantasme profondément subversif que filme Moretti. Ce désir de s’extraire de ce qui nous entoure et de renoncer de jouer le jeu. Un mot d’ordre dévastateur pour toute société et notamment dans celle qui nous ordonne chaque jour de nous dépasser pour en être un élément productif et heureux de l’être. Derrière sa tonalité de comédie légère et douce, Moretti réalise un film profondément subversif comme l’était Bartleby en 1853.
La balade papale désamorce le huis-clos que le film installe dans ses premières minutes. Dans un renversement des codes, c’est dans le lieu fermé sur lui-même que Moretti filme, avec ironie et tendresse les cardinaux insouciants qui, comme des enfants, ont seulement hâte de rentrer chez eux. Le sentiment d’oppression et de vertige ne vient pas du lieu, mais de la démarche laborieuse du cardinal Melville, pape malgré lui, enfermé par ses désirs qu’il ne comprend pas.
Inattendu, drôle et subversif, Habemus Papam renverse par une habile mise en scène, son propre dispositif et livre un brillant portrait d’un homme qui se cherche et qui fuit. Une réussite dans la filmographie du réalisateur italien, à découvrir ou redécouvrir.
Habemus papam, de Nanni Moretti avec Nanni Moretti et Michel Piccoli, disponible sur Ciné+