Nous sommes dans le Connecticut en 1973, à la période de Thanksgiving. New Canaan est une petite ville de vingt mille habitants située à une petite heure de train de Manhattan, où nous découvrons deux familles typiques, voire archétypal d’un certain idéal américain. Bien sûr cette petite vie pavillonnaire n’est qu’un vernis qui s’écaille pour révéler des troubles attendus, et profondément humains : un mari qui trompe sa femme, une femme qui trompe son mari… Et des adolescents obsédés par le sexe que l’on ne saurait voir.
Au casting de The Ice Storm, les noms de Kevin Kline, Christina Ricci et Sigourney Weaver attirent le public lors de la sortie cinéma (et les journalistes people lors de la montée des marches, le film étant présenté à Cannes en 1997). Aujourd’hui, le spectateur qui découvre le film se réjouit de découvrir en plus les jeunes et jolis minois de Tobey Maguire et Elijah Wood, avant leurs succès populaires respectifs qui feront d’eux des superstars.
C’est le scénariste James Schamus, collaborateur devant l’éternel d’Ang Lee, qui apporte à ce dernier le roman de Rick Moody dans le but de l’adapter. Le réalisateur taïwanais est tout de suite attiré par la fin de l’histoire ; son point dramatique culminant le fascine et lui donne envie de mettre en scène un drame, un accident dans le froid et la glace qui vient définitivement briser le vernis mentionné plus haut. Pour autant on ne peut résumer, heureusement, l’intérêt du film à cette issue. Ang Lee est un habitué de la mise en scène des masques, des personnages qui font de leur mieux pour se construire une façade, un costume pour mieux faire illusion en société avant de voir soudain les vrais visages apparaître. C’est le cas de son célébrissime Brokeback Mountain, mais aussi plus récemment d’Un jour dans la vie de Billy Lynn… Et bien sûr de son Hulk, l’exemple le plus flagrant peut-être de son travail sur le double intérieur qui explose quand il devient trop réprimé.
Détail amusant d’ailleurs à posteriori, le film s’ouvre sur Tobey Maguire, jeune étudiant qui fait le trajet depuis la Grosse Pomme pour les fêtes de novembre, lisant dans le train un comic book des Quatre Fantastiques, quatre ans sa transformation en Spider-Man et six ans avant le Hulk d’Ang Lee… Mais un détail pas anodin, puisque les thématiques sont bien inscrites dans une continuité complexe : toutes ces œuvres réfléchissent à la dynamique conflictuelle entre la construction de l’individu comme être indépendant, et à l’inverse la soumission au noyau familial.
En cela The Ice Storm est peut-être un des films qui traduit le mieux les malaises de la société américaine post-sixties. Les chamboulements sans précédents qui ont traversé le pays durant toute une décennie – voire plus – amènent à une sorte de perte de sens dans les milieux les plus traditionnels, qui se tournent alors vers le passé – c’est dans le nom, la tradition. Les années 50 sont réinventées pendant les années 70 et deviennent un idéal à atteindre et à préserver, une période glorieuse où les hommes étaient des hommes et les femmes étaient des femmes, et où tout était plus simple. C’est à ce moment-là que George Lucas mythifie la jeunesse et son rapport à la voiture dans American Graffiti, et que le musical Grease devient un carton national…
Au milieu de tout ça, l’idée de The Ice Storm est de présenter la famille comme une entité pourrie, qui n’arrive plus à justifier sa raison d’être. On ne choisit pas ses parents, ni ses enfants… C’est un peu l’idée. C’est sûrement pour cela qu’une des grandes séquences du film implique une soirée échangiste entre tous les couples du coin (petit cameo d’Allison Janney d’ailleurs, appréciable) ; comme une envie de se libérer de la monotonie et du désœuvrement ambiant. C’est aussi ici qu’intervient la fameuse tempête de glace du titre : c’est ce monde qui est figé, qui ne sait pas que faire de son passé ni où aller ensuite. Les seuls à avoir la capacité de s’extirper de cette caverne mortifère, ce sont les plus jeunes. Le personnage de Christina Ricci est à ce titre le plus intéressant du film et a droit à la plus belle scène du tout, lorsqu’elle déshabille le G.I Joe d’un garçon (en sa compagnie) pour observer son absence de parties génitales…
Comme dans Brokeback Mountain, le réalisateur filme une forme d’innocence et de vie dans la naissance d’un désir érotique. De là à dire que l’amour serait la seule manière de connaître une vraie libération dans un monde tout pourri, il n’y a qu’un pas… et Ang Lee le franchit aisément.
The Ice Storm, un film d’Ang Lee avec Ellen Ripley, Spider-Man, Mercredi Adams, Frodon et de la déco bien moche des années 70. Disponible sur Ciné +