Plus que jamais : Comment te dire adieu

Le 19 janvier, nous apprenions tous avec stupéfaction la mort de Gaspard Ulliel. Une mort bête, idiote même, sur les pentes d’une station de ski savoyarde qui nous priva du talent d’un acteur exigeant et populaire à l’âge de seulement 37 ans. Quelques semaines plus tard, la liste de ses œuvres posthumes continue de s’égrener lentement : dans la foulée d’une courte apparition dans la série Marvel Moon Knight, par un jeu de grand écart à l’image de sa carrière, c’est avec Plus que jamais (l’un des deux films tournés avant son décès à n’être pas encore sorti en salles, avec Coma de Bertrand Bonnello), que le nom d’Ulliel s’invite pour la dernière fois sur la Croisette.

Triste hasard des choses, Plus que jamais, le nouveau long-métrage de la cinéaste franco-allemande Emily Atef (Trois jours à Quiberon), est une œuvre hantée par la mort et par le deuil. Sauf qu’ici, ce n’est pas Ulliel qu’il touche mais sa partenaire à l’écran, Vicky Krieps, celle dont les tabloïds ont débattu pendant des semaines pour savoir si elle avait été sa dernière compagne à la ville. L’actrice luxembourgeoise, déjà magnifique la veille en Sissi révoltée dans Corsage de Marie Kreutzer, joue ici Hélène, l’épouse de Matthieu/Gaspard Ulliel, dont les jours sont comptés depuis qu’on lui a découvert une maladie incurable des poumons. Seule solution pour la sauver : une greffe, qui n’arrivera pas du jour au lendemain et dont les chances de guérison ne sont qu’hypothétiques. Pour faire le point sur sa vie, Hélène décide du jour au lendemain, seule, se ressourcer au grand air dans les fjords de Norvège.

Son postulat lourd et douloureux, Plus que jamais ne cherche jamais à l’esquiver ou à l’escamoter. Emily Atef cherche avant tout à faire le portrait d’une mourante pas encore morte, qui se demande quand, comment, et avec qui partir. Dans sa quête d’une réponse, Hélène fait la connaissance d’un mystérieux blogueur norvégien, Mister, alias Bent (Bjorn Floberg), lui-même en rémission d’un cancer. La relation entre les deux personnages nourrit le moteur d’une des questions les plus difficiles et les plus incertaines auquel l’art peut répondre : comment représenter les malades dans l’antichambre de la mort, dans ce purgatoire dans lequel on n’est pas tout à fait encore parti et où l’on est déjà plus tout à fait là. A rebours des clichés misérabilistes, du voyeurisme larmoyant et des incantations oppressives au courage et à la résilience, Plus que jamais cherche à casser l’image du « bon » et du « mauvais malade » et à rappeler que personne ne peut jamais être préparer à sa propre mort ou au départ de l’être aimé.

Armée d’une grande délicatesse, Emily Atef n’oublie pas non plus de construire un film, et surtout un portrait de femme derrière. Le portrait brut, rageur, sensuel et doux à la fois d’une personnalité insaisissable, d’une femme qui veut reprendre possession de sa vie et de son corps avant de les perdre peut-être à jamais. Dans son dessein, elle a eu la bonne idée de confier cette tâche ardue à l’une des plus fascinantes actrices en activité. La versatilité de Vicky Krieps, que l’on avait déjà loué dans Corsage sur ce festival, donne encore ici la pleine mesure du talent immense de l’actrice luxembourgeoise, jamais dans le pathos, toujours dans le mot juste. Face à elle, la grâce fragile de Gaspard Ulliel brille une fois de plus pour faire exister son personnage à fleur de peau avec une immense tendresse.

Dans les somptueux paysages de Saebø, niché dans les fjords au nord de Bergen, la réalisatrice vient trouver le calme et le silence d’un entre-deux mondes, où la vie même semble suspendue avec ce que cela peut avoir de réconfortant et d’engourdissant. Un monde où le soleil ne se couche jamais, la métaphore se filant d’elle-même. Loin d’être un simple artifice, c’est un endroit auquel il est difficile d’accéder, et qu’il est encore plus compliqué de quitter.

Il n’y a pas de morale face à la mort, pas de bonne ou de mauvaise réaction, rien qu’une succession d’égoïsmes qui se confrontent. La grande force de Plus que jamais, c’est de souligner que ce n’est pas parce qu’on peut retarder ou non la mort qu’il est possible de plus ou moins d’y préparer, qu’il n’y a pas de malade moins courageux qu’un autre, et surtout que l’amour ne vainc pas tout. Ce très beau film, moins doloriste que ce que ce compte-rendu le laisse à penser, se retrouve constamment confronté à l’impossibilité de quantifier, graduer, catégoriser les réactions humaines, et surtout de répondre de manière péremptoire à la multitude de questions qu’elles entraînent. Cette belle et triste indécision, Plus que jamais aurait eu bon ton de le garder jusqu’à son final, qui propose une résolution (quoi qu’on en pense) à cet insoluble dans sa dernière scène là où les précédentes laissaient augurer d’une belle fin ouverte qui aurait, sans fatalisme, décidé de ne rien répondre aux attentes du spectateur. C’est un moindre grief qui n’entache en rien les grandes qualités du film d’Emily Atef, et du bouleversant tandem que forment ses acteurs principaux. Car après tout, ce serait ne rien y avoir compris que de reprocher sa fin à une œuvre qui passe son temps à en rechercher le sens.

Plus que jamais d’Emily Atef, avec Vicky Krieps, Gaspard Ulliel, Bjorn Floberg, sortie en salles prévue le 9 novembre

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