Slalom : attention, terrain glissant

J’aurais pu écrire sur Slalom il y a bien longtemps. Sélectionné à Cannes en 2020, le premier long métrage de Charlène Favier a ensuite été présenté au Festival de Deauville, quelques mois plus tard. Il y recevait le Prix d’Ornano-Valenti, qui récompense les premiers films les plus ambitieux et se traduit en une aide financière à son réalisateur, son producteur et son distributeur. L’année précédente, le lauréat était Les Misérables. En 2021, c’était Les Magnétiques. Bref : ce prix a un sacré flair. Et c’est à cette occasion que j’ai découvert le film. Je n’ai pas écrit dessus à l’époque : il devait sortir peu de temps après, je me suis dit que ça pouvait attendre un peu. C’était sans compter sur le Covid, qui a repoussé sa sortie à mai 2021. J’étais alors retourné le voir en salle.

Mais non, je n’avais toujours pas écrit dessus. Et je m’en suis voulu amèrement. Car Slalom avait besoin de soutien. Car Slalom a été un véritable choc, tout le long de ma première séance à Deauville. Et ce même frisson était tout autant présent la seconde fois.

Slalom, c’est l’histoire de Lyz Lopez (Noée Abita), une jeune fille de quinze ans qui veut faire du ski son métier. Elle rejoint l’équipe de Fred (Jérémie Renier), un entraîneur de renom, lui-même ancien champion. Il galvanise, il motive, il pousse ses poulains dans leurs derniers retranchements. Mais Lyz ? Elle tire son épingle du jeu. Alors il ne la lâche pas d’une semelle. Jusqu’à ce que ça aille trop loin.

Nous nous sommes depuis entretenus avec l’actrice, pour lire c’est par ici

À première vue, Slalom fait tout ce qu’il faut pour nous plonger dans le quotidien de Lyz, qui n’est déjà pas celui d’une adolescente ordinaire. Elle n’a que sa mère, et pourtant elle doit vivre seule car elle travaille loin. Elle choisit une section sport-études, qui contrebalance l’idée de compétition que l’on peut déjà avoir dans un cursus scolaire normal. Ici, la compétition, elle se joue sur deux plans : le plan externe, pour les courses auxquelles les élèves participent, et sur le plan interne, car que serait l’adolescence sans rivalité(s) ? Question sources de tension, il y a déjà de quoi faire.

Et Noée Abita, qu’on pense toute frêle – c’est d’ailleurs ce que lui dit son entraîneur en prenant ses mensurations, qu’elle risque de se faire bouffer, n’a pourtant rien d’un poids plume. Elle pense trouver en lui la force d’avancer, mais surtout de se dépasser. En un sens, sa performance me rappelle cet autre film que j’ai découvert lui aussi à Deauville en 2021 : The Novice de Lauren Hadaway. Un autre film sur lequel je n’ai toujours pas encore écrit alors que je le devrais, sur une étudiante (incarnée par Isabelle Furhman) qui rejoint le club d’aviron de son université et qui est déterminée à devenir la meilleure. On lit sur le visage de Noée la rage de vaincre.

Liz pense trouver en son professeur un modèle, un appui. Peut-être une façon de compenser la présence maternelle qu’elle n’a pas autant qu’elle le voudrait. Jérémie Rénier brille lui aussi dans le rôle de Fred, tant son personnage passe avec habileté d’un visage à l’autre : celui du pro encourageant… et celui de l’homme et de son emprise. Quand un événement fait tout basculer, la compétition devient alors un duel, et c’est à celui ou celle qui saura se défaire le premier de cette emprise qui l’emportera. Ils ont chacun tout à perdre.

Charlène Favier construit avec Slalom une atmosphère littéralement glaçante, puisque plus le film avance, et plus l’on sent Lyz prisonnière d’une montagne de plus en plus tourmentée. Chaque acte du film s’introduit par de magnifiques plans de paysages alpins, pourtant de plus en plus troubles : la nuit, le brouillard, la neige. Tout semble se refermer sur Lyz, qui trouve sa respiration dans chaque course. Elles sont brutes, incisives. On franchit chaque étape de la compétition en se demandant si Lyz perd un peu plus le contrôle de sa propre existence.

Car l’étau se resserre peu à peu autour de Lyz. Slalom, c’est aussi ce constant passage d’un visage à l’autre de Jérémie Renier, tel L’Amant double de François Ozon. Il y a le visage public : celui de l’entraîneur qui veut le meilleur pour son élève, qui fait tout pour l’aider à passer outre ses soucis personnels. Sauf qu’une fois les lumières éteintes et plus aucun témoin à l’horizon, c’est le monstre qui ressurgit. Celui dont l’emprise est de plus en plus forte : demander à Lyz de venir vivre avec lui et sa compagne, c’est s’assurer de l’avoir « à portée de main »… et pourtant sous les yeux (fermés) même de l’être aimé.

Et il y a les agressions. Multiples. Froides. Charlène Favier ne quitte jamais le point de vue de son héroïne, chez qui tout semble s’éteindre par instinct de survie. Lyz cède sous la contrainte, à plusieurs reprises, et l’on voit le regard de Noée Abita se perdre dans le lointain, à espérer que le supplice s’achève. On lit en elle l’absence totale de désir et de réciprocité envers cet homme, l’état de sidération total dans laquelle elle se plonge, par instinct de survie, sûrement.

Cette montée en pression est contrebalancée par les victoires de Lyz, qui lui permettent peu à peu de prendre confiance en elle, mais surtout de reprendre possession de son être. Comment s’affranchir de son tortionnaire ? La réponse s’échappe presque dans un murmure, qui n’aura pourtant jamais été si fort. Non, c’est non.

Cette histoire, c’est aussi celle de sa réalisatrice. Qui a vécu exactement la même chose que son héroïne. Ce traumatisme, elle nous le fait vivre à cent pour cent. Et cette longue quête de reconstruction aussi. C’est tout simplement brillant.

Aujourd’hui, Slalom est nommé aux César dans la catégorie meilleur premier film.

Aujourd’hui, Noée Abita est nommée aux César dans la catégorie meilleur espoir féminin.

Aujourd’hui, Slalom est disponible à tout moment sur Ciné+.

Aucune raison de passer à côté, donc. Alors allez-y.

Slalom, de Charlène Favier. Écrit par Charlène Favier et Marie Talon. Avec Noée Abita, Jérémie Renier. Sorti au cinéma le 19 mai 2021, actuellement disponible sur Ciné+.

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