C’est presque une histoire digne d’un film. Lorsque Noée Abita se retrouve à accompagner une amie dans une agence artistique sur un coup de tête à 17 ans, la voilà très vite propulsée sous les feux des projecteurs. La sincérité de son expression, la justesse de ses émotions nous est d’abord offerte dans le long métrage Ava de Léa Mysius, avant de l’apercevoir voler la vedette des pontes du milieu dans quelques scènes du succès de Gilles Lelouche Le Grand Bain.
Depuis, on l’a vu à la télévision pour une série fantastico-réaliste sur Arte (une histoire de sirènes et de pêcheurs, une curiosité un peu passée sous le radar), au cinéma dans un drame québecois et une comédie française… Et puis il y a eu Slalom. Premier long de la scénariste et réalisatrice Charlène Favier, le film offre à Noée Abita un rôle magnifique et bouleversant, où la narration même se repose sur l’exactitude de son jeu ; le moindre petit écart suffirait à faire échouer la démarche du film, et cela n’arrive jamais. Charlène Favier avait déjà travaillé avant avec la jeune actrice sur son court-métrage Odol Gorri ; aujourd’hui elles sont toutes les deux nommées aux César pour le meilleur premier film et le meilleur espoir féminin, respectivement.
Le succès dans les salles n’a pourtant pas empêché Noée Abita de continuer à interpréter des rôles dans des courts-métrages, comme L’âge tendre de Julien Gaspar-Oliveri, également nommé aux César 2022. Il raconte l’histoire de Diane, seize ans, élève de section STMG très intense qui cherche l’attention et l’amour tout autour d’elle… Tout en étant de plus en plus embarrassée – adolescence oblige – par sa relation fusionnelle avec sa mère. Nous nous sommes brièvement entretenus avec Noée Abita pour en parler.
Qu’est-ce qui vous a plu dans le rôle à la lecture du scénario ?
On m’a très peu proposé de personnages comme ça à ce moment de ma carrière. Des personnages qui parlent forts, qui prennent beaucoup de place ; j’étais plus habituée à des rôles de timide, de réservée… Des personnages un peu mutins. Et là j’ai tout de suite adoré sa gouaille. C’était ça, mais aussi un tout parce que le scénario est très bien écrit ! Julien écrit très bien donc c’était très littéraire… Je l’ai tout de suite rencontré et on a eu une alchimie immédiatement, donc j’ai voulu travaillé avec lui.
Vous avez tourné dans de nombreux courts-métrages depuis vos débuts au cinéma (récemment on peut la voir dans Love Hurts en plus de L’âge tendre, les deux sur Arte), et ce malgré un succès évident dans le format long dès Ava. Est-ce que c’est un choix délibéré de votre part ?
On m’a plusieurs fois posé la question. « Est-ce qu’il faudrait d’abord commencer par des courts-métrages, pour aller ensuite vers le long ? ». Mais pour moi pas du tout. J’ai commencé par le long, mais quand on m’a proposé des courts-métrages j’ai dit oui parce que je vois ça de manière totalement différente. C’est une autre manière de travailler, d’appréhender l’histoire, le personnage… C’est assez difficile, parce que c’est très court il faut réussir à faire passer des choses efficacement. C’est un exercice totalement différent et j’adore ça. Partir pendant dix jours, une semaine… Dix jours quand on a de la chance. Et sur ces quelques jours, on a créé un film ! Il y a une ambiance, une alchimie avec toute l’équipe technique. Sur un long-métrage au bout de dix jours, on est encore tout timide…
On commence seulement à se connaître.
Ouais ! Donc c’est complètement différent. Et j’adore le court-métrage pour ça.
Dans une interview pour Allociné vous parliez de votre rapport un peu compliqué à l’école. Est-ce que c’est quelque chose qui a informé le rôle, ou qui vous attiré vers ce rôle ?
Non, j’avoue que je n’y ai pas du tout pensé. Mais je me suis reconnue dans cette fille qui a l’air de s’ennuyer à l’école, bien sûr, mais j’avais pas fait le rapprochement.
Restons sur le personnage. Le film est très tendre avec elle et les autres, ce n’est pas pour rien que c’est dans le titre d’ailleurs… Et on a l’impression qu’elle voudrait grandir trop vite.
Peut-être. Je ne pense pas qu’elle veuille grandir trop vite, elle veut surtout s’émanciper de sa mère. Elle veut s’émanciper de sa mère qui prend trop de place, elle veut faire la grande et elle se trompe, mais je ne suis pas sûr qu’elle veuille grandir. Même à la fin, elle cherche encore une certaine maternité, elle a un côté très petite fille, très bébé.
C’est cette fin que je trouvais intéressante justement, qui vient désamorcer tout ce qui s’est passé avant et qui m’a amené à penser ça.
Oui, bien sûr. Elle se rend compte qu’elle a mal fait.
Est-ce que certaines scènes ont été plus difficiles que d’autres à tourner ?
Ce qui était le plus… Pas compliqué parce que c’est jamais compliqué ou facile, c’est pas le mot, c’était les scènes avec tous les figurants. Là, c’était à la fois étrange et excitant. La scène de la photo de classe par exemple, c’était impressionnant. C’était génial, c’est que tu vois la scène où je montre mes seins, la première fois les gens hallucinent… Et la quinzième fois ils n’en ont plus rien à foutre. Donc ce qui est génial c’était de travailler ça. Julien nous donne beaucoup d’indications mais il nous laisse aussi improviser dans ce genre de scènes.
Autour de toi dans ce genre de scènes, c’est surtout des ados lambdas ou bien des comédiens professionnels ?
Quelques-uns mais pas beaucoup. Surtout des gens qui étaient juste au lycée, ou dans leur club de théâtre. Mais ouais, tu vois la scène de la fête dans l’appartement, on a lancé une fête et la caméra se déplaçait au milieu de tout ça. Donc parfois je perdais complètement la caméra, je savais plus où elle était. Puis elle réapparaissait d’un endroit inattendu, c’était super. Vraiment très étrange mais super.
Donc Julien Gaspar-Oliveri vous laissait proposer des choses ?
Oui, il laisse une grande part à l’improvisation. Mais les scènes qui sont écrites sont écrites, c’était un peu des deux. Ce qui m’a aussi beaucoup plu, et c’est la première fois qu’on me disait ça, c’est quand Julien m’a dit « il faut que tu provoques la caméra. C’est une histoire de désir, elle doit vouloir venir te chercher parce que tu fais quelque chose ». Tu vois ? Et ça m’avait marqué. Sur les autres films depuis j’y ai souvent repensé ; le désir va dans les deux sens. Il faut donner envie à la caméra de te filmer.
J’ai une question un peu bête ; dans le film Diane se décolore les cheveux et tout le monde lui dit que c’est moche. Vous en pensez quoi ? Elle se ment ? Vous aimeriez avoir la même décoloration ?
C’est une perruque ! Je pense qu’elle sent au fond d’elle que ça lui va pas du tout mais l’admettre serait la fin du monde. Si elle fait ça tout s’effondre. C’est ça qui est magnifique et qui fait la tragédie là-dedans. Elle veut s’émanciper de sa mère mais en même temps elle refuse de s’admettre qu’elle a encore besoin d’elle. Tout son rapport au monde, à elle-même et aux hommes, c’est que ça : « je sens qu’au fond ce que je fais c’est pas la chose à faire, mais comme je suis en train de le faire, si je me l’admets je m’effondre ». Je dis pas que c’est la chose à faire, mais c’est ce qu’elle fait.
Et de toute façon le film ne juge aucun de ses personnages, c’est une de ses qualités. Comment s’est passée votre relation avec Marie Denarnaud (la mère) et les autres comédiens d’ailleurs ?
Très bien, en plus on avait déjà travaillé ensemble sur Slalom. Elle adore parler de la signification des actions des personnages, décortiquer le pourquoi du comment donc on pouvait discuter pendant des heures. Avec Iliès (qui joue le meilleur ami de Diane, ndlr), c’était très simple, on s’est aussi très bien entendus et notre relation ressemble à ce que l’on voit à l’image.
Pour terminer, le film est nommé aux César mais tu l’es également pour Slalom. Est-ce que tu vois ça comme un tournant dans ta carrière, une bascule, un palier ?
J’ai surtout pas envie de me dire ça ! Parce que j’ai très peur d’être déçue et que je ne veux surtout pas l’être. C’est un métier où on ne sait jamais ce qui va se passer le lendemain donc je n’ai pas envie de me dire ça et je ne me dis pas ça. Je suis très heureuse, agréablement surprise d’être aussi heureuse ; je pensais pas ça me ferait un tel effet. Je suis contente que cela donne une nouvelle visibilité au film, et que les gens que j’admire dans le cinéma ait reconnu mon travail. C’est gratifiant, mais ça s’arrête là. On verra ! Faut pas trop se poser de questions.
L’âge tendre, un film de Julien Gaspar-Oliveri, avec Noée Abita. Disponible gratuitement sur Arte.