Quatorze ans séparent la sortie du film Uncharted de son annonce : véritable étendard et vitrine technologique de la PlayStation 3 à son époque, Uncharted : Drake’s Fortune a très vite intrigué Hollywood. Plutôt amusant, pour un jeu qui est lui-même un méli-mélo de tout ce qui a fait le genre du film d’aventure, avec une grosse pincée de Tomb Raider sur le dessus. Pendant cette longue errance, où se sont multipliés les changements de réalisateurs, de scénaristes et d’acteurs* considérés pour prendre le rôle de Nathan Drake, la saga de Naughty Dog a fait son chemin avec quatre opus et deux spin-offs.
Uncharted a profité de la puissance des nouvelles générations et du savoir-faire du studio Naughty Dog pour devenir une référence du jeu d’aventure, où chaque nouvelle itération donnait davantage d’épaisseur à ses personnages et allait plus loin dans le grand spectacle. A Thief’s End, le quatrième épisode, étant le point d’orgue des aventures de Nathan Drake : le personnage n’a jamais semblé plus humain qu’ici, sous l’influence de la tête pensante de The Last of Us, Neil Druckmann. À l’heure où les jeux vidéo sont de plus en plus photoréalistes, et dont la narration emprunte tout autant au cinéma (star cast, motion capture…), à quoi bon vouloir l’adapter sur le grand écran ?
Tout simplement : pour apporter un regard neuf sur son héros. La mouture finale d’Uncharted est un préquel à l’ensemble de la saga, où un jeune Nathan Drake incarné par Tom Holland part pour sa première aventure avec son futur mentor Victor Sullivan, campé par Mark Wahlberg. L’objectif ? Retrouver la fortune disparue de Magellan avant un certain Moncada (Antonio Banderas), convaincu que sa famille est l’héritière logique de ce trésor…
Ça commençait pourtant à peu près bien : pour sa première scène, Ruben Fleischer choisit d’exposer l’un des points d’orgue du film. La scène de l’avion, piquée à Uncharted 3 : l’Illusion de Drake, où le héros se retrouve agrippé à des marchandises suspendues dans le vide… sur le point de tomber. La caméra virevolte autour de l’anneau de Drake, objet chéri de la franchise, puis le surprend en train de reprendre ses esprits alors que ça canarde autour de lui. Ça, par contre, c’est emprunté à l’épisode 2. Déjà, on sent la volonté de satisfaire les connaisseurs. Ce qui est plus regrettable, c’est que visuellement, on devine déjà les fonds verts un peu trop disgracieux, pas aidés par une image elle-même un peu trop terne. On tient là deux défauts majeurs du film.
Uncharted a les mêmes griefs que bon nombre des blockbusters actuels et semble vouloir se contenter du strict minimum. C’est l’impression que l’on a sur tous les plans. Ruben Fleischer est dans le même état de léthargie que pour le premier Venom et délivre un truc tout autant impersonnel et formaté… L’image est tout aussi grise et sans éclat, semblant ne jamais vouloir épouser la grandiloquence de l’aventure et les quelques paysages captés en décors réels. Par exemple : on va en Espagne, il y fait beau, mais comme la photo est terne, bah c’est pas très accueillant. On ne sait d’ailleurs pas non plus qui a choisi les plans aériens sur la ville de Barcelone parmi les stocks disponibles, puisque le premier plan qui nous saute à la tronche est tellement laid qualitativement qu’on penserait presque voir apparaître des pixels. Nice job. À la photo, on a du mal à croire que ce soit Chung Chung-hoon, l’un des collaborateurs réguliers de Park Chan-Wook, avec qui Edgar Wright a bossé sur Last Night in Soho.
Au scénario aussi, on fait le strict minimum. On veut retrouver de l’or, parce que l’argent, c’est cool. Le méchant ? Il veut plus d’argent parce que c’est cool. C’est Antonio Banderas, c’est cool. Il n’est pas défini par autre chose que sa haine pour son papounet ? C’est cool. Il en a pas grand chose à faire non plus ? C’est cool. Sa mercenaire attitrée, incarnée par Tati Gabrielle, n’existe qu’à travers ses liens préexistants avec Victor Sullivan et n’a l’air que d’une version ultra-cheap de Nadine Ross, l’antagoniste de l’épisode 4, devenue complice de Chloe Frazer dans le standalone The Lost Legacy. Quant à Chloe Frazer, on la voit elle aussi toute jeune, sous les traits de Sophia Ali. Elle est aussi réduite au strict minimum : un accent australien forcé à faire hurler de rire, son attrait pour la couleur rouge même quand c’est pas du tout adapté, et des intentions douteuses.
Même le duo principal a du mal à fonctionner, tant l’alchimie entre Tom Holland et Mark Wahlberg semble forcée à chaque instant – devenue un des éléments marketing où les deux n’arrêtent pas de se chambrer sur leur âge respectif, un peu façon The Rock et Kevin Hart sur les derniers Jumanji. Le duo mythique des jeux n’en est pas encore au même degré de complicité, puisqu’ils se rencontrent pour la première fois. Mais le tout repose sur des moments d’humour qui ne marchent pas toujours, et qui donnent souvent l’impression que Nate a déjà un peu tout vu – alors que non. Tom Holland a l’air de s’éclater, lui. C’est déjà pas mal. Il fait beaucoup de cascades lui-même, donne tout ce qu’il peut, mais il est déjà tellement identifié en tant que Peter Parker qu’on a étrangement du mal à le dissocier du rôle.
Pourtant, explorer la jeunesse de Nathan Drake pouvait avoir du sens, mais un peu comme le reboot de Tomb Raider de Roar Uthaug, avec Alicia Vikander, le film a toujours le cul entre deux chaises à vouloir autant satisfaire les fans qu’embarquer au vol les néophytes. Le résultat, c’est un film d’aventure générique à souhait, qui peine à embrasser la grandiloquence de sa source vidéoludique… et qui pourtant la retrouve un peu, mais seulement dans ses vingt dernières minutes. Un moment de folie pure, avec des bateaux dans le ciel, où Nathan Drake devient en quelque sorte celui que l’on connaît, et où l’âme d’Uncharted transparaît.
C’est aussi fugace que le thème musical de la franchise, mémorable d’un épisode à l’autre, qui n’apparaît ici qu’à deux reprises, quelques secondes à peine. Le reste du temps, la musique, pourtant composée par Ramin Djawadi (Game of Thrones, et récemment Les Éternels), est une bouillie noyée dans de la musique pop (l’entrée d’un caveau dans un bar dissimulé, ça c’est beau). Les grands moments d’action de la saga Uncharted sont toujours teintés par le côté un peu goofy de Drake : une petite vanne bien placée, les « oh crap » maladifs, le fait qu’il ne soit pas non plus un surhomme. On l’aperçoit dans ces batailles finales, alors que quelques instants avant, Tom Holland joue le pirate sur le navire, ce à quoi Mark Wahlberg lui dit « hé, calme-toi Jack Sparrow ! ».
Et là… on se rappelle le premier Pirates des Caraïbes. Ce blockbuster qui semble aujourd’hui appartenir à un autre temps, où les décors semblaient vrais, où la réalisation et le montage se mettaient au service de l’action et du rythme. Et si Jack Sparrow était un lointain ancêtre de Nathan Drake ? Ils ont en tout cas beaucoup de choses en commun. Dans tous les cas, moi je vous laisse, je préfère retourner sur ma PS5 me refaire la version remastérisée de Uncharted 4 et The Lost Legacy.
*Les réalisateurs : David O. Russell, Neil Burger, Seth Gordon, Shawn Levy, Dan Trachtenberg, Steven Knight.
*Les scénaristes : Thomas Dean Donnelly, Joshua Oppenheimer, puis Doug Belgrad et Matt Tolmach, puis Marianne et Cormac Wibberley, puis David Guggenheim, puis Mark Boal, puis Joe Carnahan, puis Rate Judkins, Art Marcum, Matt Holloway, Jon Hanley Rosenberg et Mark D. Walker. La liste est longue non ?
Uncharted, un film dont on ne compte plus les réalisateurs et scénaristes qui se sont enchaînés sur le projet, qui a fini avec le réal de Venom, Tom Holland et Mark Wahlberg qui font semblant d’être cool, Sophia Ali, Tati Gabrielle et Antonio Banderas venu encaisser un chèque viteuf. Sortie en salles le 16 février 2022 (mais c’est mieux d’y jouer sur votre télé).