La Communauté: les Danois dans la ZAD

La communauté, Cinématraque

Dans les années 70, Erik architecte, et Anna journaliste vedette, couple bourgeois progressiste, tentent de faire vivre leur idéal libertaire pour garder la vaste demeure que l’homme vient d’hériter de ses parents. Pour assurer son entretien, Anna propose d’expérimenter la vie en collectivité. La Communauté signe le retour au bercail pour Thomas Vinterberg, après avoir côtoyé les étoiles du mainstream en montant les marches du Festival de Cannes pour La Chasse et avoir cédé aux sirènes étasuniennes en réalisant Loin de la foule déchaînée.

S’il a été remarqué pour sa science du malaise avec Festen, il fait définitivement le choix du grand public avec La Communauté. À sa sortie, l’aspect paresseux de sa critique politique de l’idéal anarchiste avait été pointé. Aujourd’hui à la lumière de son dernier succès, Drunk, il est permis de porter un regard neuf sur La Communauté. Là comme dans Drunk les hommes sont à l’honneur. Si l’on a pu reprocher au cinéaste le traitement du personnage féminin dans son œuvre la plus récente (un point faible dont le réalisateur a conscience) la place du pouvoir masculin est beaucoup plus interrogée ici.

La Communauté, Cinématraque

On l’a dit, le film questionne avec un regard plein de sarcasme la volonté de la bourgeoisie progressiste de créer un espace politique communiste. L’architecture et les médias spectacles sont deux outils de la violence sociale du capital contre les classes populaires. On peut louer le geste de cette bourgeoisie qui pense se mettre en danger, mais il est voué à l’échec. Un peu comme si un patron de presse « offrait » son journal à ses salariés ; cela n’en ferait pas un quotidien appartenant à ses travailleurs. Erik et Anna fondent d’ailleurs leur communauté en recrutant des camarades, comme des chefs d’entreprise engagent des ouvriers. La démocratie qui s’exprime est faussée depuis le départ. Pareil, Vinterberg raille les a priori racistes et de classe de ce groupe en formation. Tout cela est intéressant et offre des séquences tout à fait plaisantes, mais en vérité Vinterberg n’en fait pas grand-chose. Il ne fait pas grand-chose non plus, et c’est curieux, de la résidence qui est pourtant au cœur de son dispositif. On peut même lui reprocher le personnage prétexte de l’enfant malade, qui n’est qu’un artifice dans ce récit. La caméra de l’artiste danois est toujours maladroite lorsqu’elle se penche sur les gosses. C’était déjà le cas dans La Chasse (dont le film, raté, emprisonne une gamine par sa mise en scène) et dans Submarino dont toute l’histoire repose sur la culpabilité de la mort d’un bébé vite expédiée par le cinéaste.

La Communauté est évidemment plein de faiblesses, qui correspondent finalement à celles du metteur en scène. Thomas Vinterberg ne sera jamais l’égal de Bergman auquel certains ont voulu le rattacher à ses débuts. Pourtant, cette œuvre permet au réalisateur de scruter la masculinité danoise héritée de la culture luthérienne où le pouvoir est aux mains de l’homme. Vinterberg n’a pas encore cherché à se confronter directement avec la religion, mais on ne serait pas étonné qu’il le fasse un jour. En attendant, le patriarche est très présent dans son cinéma et c’est, finalement, ce qui l’obsède dans La Communauté, bien plus que pour Drunk. L’échec de la collectivité n’est pas seulement la conséquence de la nature bourgeoise de ses instigateurs. C’est surtout l’héritage patrilinéaire de la société danoise qui rend vaine, sans une réflexion profonde, toute tentative d’entreprise communiste.

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Il faut revenir sur couple originel : Erik et Anna ainsi que leur fille, Freja. Si la maison appartenait aux parents d’Erik, c’est Anna qui suggère à son mari, en retrait, de fonder une communauté pour continuer à garder les murs au sein de leur famille. Que l’utopie parte de la femme n’est pas un hasard, tout comme le fait que l’héritage soit associé à l’homme. De la même façon lorsque l’acte démocratique du vote est filmé, il sera l’initiative d’une femme, nouvelle arrivée dans la communauté. S’il y a un regard auquel s’identifier c’est, par ailleurs, celui de Freja qui est à la fois amusé par la tournure des événements, qu’inquiète face à ceux qui s’imposent à elle. Son désir, finalement, se projette au-delà de la collectivité chez le jeune voisin menant une vie pleinement bourgeoise dans une baraque moderne. Devant ces femmes volontaires, libérées autant au point de vue personnel que professionnel, que deviennent les hommes ? Un ami d’enfance d’Erik arrive dans le groupe après avoir, dit-il, été quitté par sa compagne en apprenant qu’il est infertile. Un autre se pointe avec sa femme et leur enfant malade.

Si l’union semble solide, par un plan, le cinéaste révèle qu’il n’en est rien : L’homme tentera d’embrasser par surprise Anna. Il fantasme plus un amour « libre » (s’emparer du corps des femmes) qu’une utopie politique. Mais c’est surtout Erik sur lequel se focalise Vinterberg. L’acteur lui-même n’est pas inconnu de son cinéma, comme le personnage d’Anna d’ailleurs : Trine Dyrholm (Anna) et Ulrich Thomsen (Erik) formaient déjà un couple dans Festen. Mais là où ils démontaient la fiction familiale dans Festen, ils sont ici dans un moment désagréable. Ils constatent qu’ils sont pris au piège du poids de la société danoise : une situation qu’Erik va finalement plutôt apprécier. Son rôle d’héritier et propriétaire n’est jamais questionné, il est souvent au centre des plans préparés par l’artiste. Bien qu’il cherche à le nier, en mettant en avant qu’il n’est « que » professeur d’architecture, il garde un statut de pouvoir, notamment sur ses étudiants qui voient en lui quelqu’un de brillant et séduisant. L’une de ses élèves, Emma, va être au cœur de son attention. Tout aussi jolie et qu’intellectuellement stimulante, elle ne laisse pas l’enseignant indifférent. L’attirance est réciproque, mais le rapport est déséquilibré. Erik, en tant qu’homme progressiste, ne tente rien sans que son étudiante ne l’autorise.

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La liaison adultère s’impose alors dans l’histoire et va fatalement remettre en question la fragile harmonie de la communauté. Loin de prendre les choses en main, Erik profite de ses différents statuts : propriétaire, héritier, mari et amant. Bien qu’il s’en défende, ses actes dictent, au sein de la communauté, la continuité d’une société Luthérienne, celle-là qui était vilipendée dans Festen. Ça se confirmera avec Drunk, mais même avec les meilleures intentions du monde, chez Vinterberg il ne faut pas attendre des hommes qu’ils soient moteurs d’un changement progressiste. Ils peuvent être en partie victimes du patriarcat (Submarino, Festen et l’enfance détruite), ils seront toujours sauvés d’une manière ou d’une autre par le groupe (la fin ambiguë de La Chasse). Dans La Communauté, c’est encore une fois les femmes qui tentent de trouver un moyen de conserver l’utopie communiste. Anna va cacher sa douleur pour que la collectivité puisse survivre, et elle ira au-delà du respect de la démocratie qui s’était jusqu’ici mise en place et accepter l’idylle d’Erik avec son étudiante. Emma, de son côté, finira par être touchée émotionnellement par les conséquences de sa liaison avec le mari d’Anna. Elle va pousser ce dernier à agir. Il finira par le faire non pas pour la communauté ou pour sauver son couple, mais pour son propre intérêt et celle de la société danoise. Anna sera poussée hors de la maison et Erik conserva son rôle central, au sein du groupe. Et c’est d’ailleurs ainsi que se termine le film, par un repas, une scène avec Erik en bout de la table, à la place symbolique du chef. Tout est rentré dans l’ordre, l’homme domine la situation.

La communauté, un film de Thomas Vinterberg avec Ulrich Thomsen, Trine Dyrholm, Julie Agnete Vang, Martha Sofie Wallstrøm Hansen disponible sur FILMO TV.

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