Arras Film Festival : le cinéma et son double

Le premier week-end de l’Arras Film Festival est derrière nous et avec lui ses premières découvertes et tendances. Comme sur un long jeu de piste, on se prend à entendre des échos, voire les reflets de visages d’un film à l’autre en essayant de tisser, de manière un peu forcée, une continuité d’ensemble au milieu d’une production pourtant très disparate. Par exemple, on a déjà fait notre overdose de Benoît Magimel en même pas deux jours où il s’est retrouvé à son corps défendant dans deux des expériences les plus pénibles de ce début de festival. Dans le maussade et plombant Amants, il forme un triangle amoureux et criminel avec Pierre Niney et Stacy Martin qui sent bon l’argent sale et surtout la naphtaline. Thriller amoureux d’un autre temps, Amants est une longue séance de somnolence cinématographique sans fièvre ni soufre, qui nous a laissé sous la neige genevoise aux portes de l’hypothermie. Le lendemain, la deuxième couche De son vivant finit de nous achever. Avec la finesse et la délicatesse qu’on lui connaît, Emmanuelle Bercot filme le martyre de Magimel, condamné par un cancer du pancréas en phase terminale, faisant défiler une à une les pages d’un insupportable bréviaire du dolorisme au cinéma. Cafardeux en diable, régurgitant ad nauseam les scènes attendues de larmes/vomi/récital de Sinead O’Connor à la gratte sèche, De son vivant est un enfer de cinéma voyeuriste dont le seul programme et de siphonner le moindre centilitre de vie à l’image. Douloureusement gênant.

Autre visage récurrent de ces premiers jours festivaliers, Noémie Merlant. Après l’avoir vu comme actrice dans le fort peu convaincant A Good Man, on découvrait ce dimanche la réalisatrice avec son premier long-métrage avec cette casquette, Mi Iubita (mon amour). Après quelques courts dont Je suis une biche et Shakira, l’actrice passe à la forme longue avec l’aide de son partenaire à l’écran Gimi-Nicolae Covaci, déjà à l’affiche de Shakira. Co-scénariste du film, le jeune homme aux origines rom embarque même dans l’aventure ses parents et son frère pour un film qui sonne la rencontre de deux mondes. Noémie Merlant joue une actrice parisienne, qui se rend en Roumanie avec ses meilleures amies pour célébrer son enterrement de vie de jeune fille. Sur place, les demoiselles ont la mauvaise surprise de se faire voler leur voiture, mais rencontrent dans leur malheur deux frères de la communauté gitane francophones. Pendant une heure trente, deux univers que rien ne prédestinaient à se rencontrer vont donc apprendre à cohabiter l’un l’autre et se découvrir. Pas exempt de maladresses, ce premier long a de l’énergie et un chouette duo de leads à faire valoir, mais s’égare dans un ou deux choix de scénario un poil douteux. Prometteur mais frustrant.

Enquête sur un secret d’Etat : premier temps fort du festival

Mais puisqu’on préfère se concentrer davantage sur les films qui nous emballé, on aura forcément un mot à dire sur l’accrocheur Enquête sur un scandale d’État, le nouveau long-métrage de Thierry de Peretti. Et de double il sera encore question ici à travers la question de l’adaptation. On avait laissé le cinéaste d’origine corse avec l’excellent Une vie violente, qui compte quelques-uns de ses plus ardents défenseurs dans la rédaction de Cinématraque. S’il quitte cette fois-ci l’île de Beauté, de Peretti reste cela fait en territoire connu en abordant ici la question des réseaux transfrontaliers du trafic de drogue et les failles de la lutte contre celui-ci. Le réalisateur s’appuie ici sur une affaire criminelle qui avait en son temps marqué le quinquennat de François Hollande, et qui avait impliqué le commissaire de l’Office central pour la répression du trafic illicite de stupéfiants François Thierry.

Au fil d’une longue série d’entretiens révélés par le journal Libération, l’ancien informateur Hubert Avoine avait alors révélé l’implication de François Thierry dans l’organisation d’un vaste réseau de trafic de cannabis importé du Maroc au prétexte du contrôle des réseaux de trafic inter-méditerranéens. Sous couvert de la fiction, De Peretti revient sur le long cheminement ayant mené aux révélations qu’Avoine avait dévoilé dans un livre écrit avec le journaliste de Libération Emmanuel Fansten, L’inflitré, publié en 2017. Devant sa caméra, Avoine devient Hubert Antoine, et prend les traits de Roschdy Zem tandis que son comparse journaliste s’incarne sous ceux de l’inévitable Pio Marmaï. Quant à François Thierry, c’est à Vincent Lindon qu’incombe la tâche de prêter sa carrure pour devenir l’ex-policier déchu.

D’Une vie violente, Thierry de Peretti a gardé le goût pour une image naturaliste quasi documentaire, travaillée de concert avec la chef opératrice Claire Mathon, qu’on ne présente plus par ici. Par le format 4/3, il donne à son film les allures d’un reportage hyper réaliste, laissant la place au temps long, aux longues litanies de dialogues au cordeau, voire à couteaux tirés entre ses personnages. Un long échange tendu entre Lindon et Valeria Bruni-Tedeschi sur une bavure des douanes qui font capoter une opération des stups, des discussions déontologiques en conférence de rédaction qui s’éternisent, des discussions entre Marmaï et Zem qui partent dans tous les sens… Enquête sur un scandale d’Etat est un film de parole, d’une parole anarchiquement ordonnée, virtuose dans sa manière d’aborder la question de la rigueur du traitement des sources.

Car ce que n’oublie pas le film, c’est de faire de ses protagonistes de vrais personnages de cinéma. Cet Hubert Antoine volubile, désordonné jusqu’à l’incohérence, bravache dans son combat et intransigeant dans ses demandes, Roschdy Zem le sublime loin de la minéralité qu’on attendait de ce genre de protagoniste. Charismatique en diable, il emporte le film dans sa cavalcade en le menaçant toujours de l’emporter dans le ravin. Car au fond, faut-il croire absolument tout ce que dit cet excentrique qui pourrait juste être un bonimenteur de génie ? Sans jouer sur le faux-semblant ou non, Thierry de Peretti essaie surtout de cerner une figure fuyante, ambivalente, et de facto passionnante.

Exigeant avec son spectateur, Enquête sur un scandale d’Etat sait aussi le récompenser par la densité de son propos, et la justesse de son traitement. Sans prendre de parti mais sans se réfugier derrière une fausse neutralité, De Peretti signe un film-dossier dans la veine de ceux d’une certaine époque du cinéma italien, et en creux un solide portrait d’enquête et d’enquêteur. Comme dernier signe d’hommage au combat journalistique, Enquête sur un scandale d’État se clôt sur un long épitaphe récité aux allures de nécrologie déclamée. Tout sauf un hasard puisqu’il s’agit quasiment mot pour mot (falsification de la fiction oblige) de celle rédigée dans les colonnes de Libé par Emmanuel Fansten, le modèle du personnage de Pio Marmaï, au moment de la mort d’Hubert Avoine, emporté par la maladie le 19 octobre 2018. Un dernier et émouvant hommage de de Peretti à un idéal du journalisme qu’on ne cessera de saluer, tant il se fait rare ces derniers temps.

Amants de Nicole Garcia avec Pierre Niney, Stacy Martin, Benoît Magimel…, en salles le 17 novembre

De son vivant d’Emmanuelle Bercot avec Benoît Magimel, Catherine Deneuve, Cécile de France…, en salles le 24 novembre

Mi Iubita (mon amour) de et avec Noémie Merlant, Gimi-Nicolae Covaci, Sanda Codreanu…, date de sortie en salles encore inconnue

Enquête sur un scandale d’Etat de Thierry de Peretti avec Roschdy Zem, Pio Marmaï, Vincent Lindon…, en salles le 9 février 2022

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