La Fracture : État d’urgences

Tremblez bourgeois, les gilets jaunes débarquent à Cannes ! Enfin, ils sont dans le film La Fracture de Catherine Corsini en tout cas. Les magasins Chanel et Dior de la Croisette peuvent dormir sur leurs deux oseilles. 

Catherine Corsini réunit dans un hôpital en crise, des militants gilets jaunes qui viennent de se faire tabasser par le « gouvernail de la France » (©Darmanin) et un couple de bourgeoises de gauche incarné par Valeria Bruno Tedeschi et Marina Foïs. La cohue générée par les évènements, les difficultés du monde hospitalier sans moyens et l’excitation générale vont progressivement faire monter la tension dans cette comédie qui contient plusieurs séquences très nerveuses.

On se réjouit d’y trouver un traitement des gilets jaunes loin de la caricature. Pio Marmaï incarne un chauffeur de camions qui essaye de se sortir de la galère et qui espère qu’il est en train de vivre un vrai moment de révolution pour enfin faire changer les choses. Sa colère n’est jamais ridicule et le film en fait très vite un personnage extrêmement sympathique et touchant. Le film rend également compte de l’hétérogénéité du mouvement des gilets jaunes en montrant comment des personnes aux situations très différentes se retrouvent à partager une même colère contre le système en place. Face à ça, le couple bourgeois est en décalage complet tant dans leurs préoccupations que dans leur façon de se justifier de leurs propres convictions « de gauche ».

Mais attention, La Fracture est également un jeu de fausses pistes. Car s’il est un film politique, ce n’est pas là où on pourrait le croire. En effet, la crise des gilets jaunes et leur confrontation à la bourgeoisie parisienne est avant tout un moyen pour la réalisatrice de faire cohabiter des personnages modernes de comédie. Tous ses malades se croisent et se recroisent dans cet hôpital qui devient un gigantesque théâtre où l’on fait des chutes rigolotes, où le scanner déconne, où l’on se hurle dessus d’un bout à l’autre d’un couloir. Si l’écriture est intelligente, on est très loin d’un essai politique sur la signification du mouvement des gilets jaunes et ses conséquences. On peut même regretter les quelques scènes qui semblent spécifiquement écrites pour essayer de ménager tout le monde (on a ainsi le droit à la scène du gentil policier qui explique ses galères…). Heureusement, la fin du film évite l’écueil de la réconciliation des classes et laisse à voir, sans le souligner, que le milieu social détermine sans pitié les destins des individus.

Non, le vrai film politique est ailleurs. Il est dans la description des urgences, ce lieu sans ressources, sans considération, où des hommes et surtout des femmes se battent quotidiennement pour aider les gens. Ce sont les seuls personnages qui ne sont pas là pour faire rire, ils sont emportés dans ce tourbillon de stress qui, pour eux, est leur quotidien. Catherine Corsini livre ainsi un vibrant hommage aux infirmières et à ce lieu où se vit concrètement l’intérêt général et le service public. C’est le théâtre de sa comédie qui constitue le nœud politique du film. Et en cela, le film est une réussite.

La Fracture, de Catherine Corsini, avec Pio Marmaï, Marina Foïs, Valéria Bruni Tedeschi

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