Wendy : on a retrouvé Benh Zeitlin en interview !

Qu’on se le dise : on avait peur que cette interview de Benh Zeitlin reste perdue dans notre Pays imaginaire, face à une fermeture éternelle des salles de cinéma. Maintenant qu’elles sont enfin rouvertes, Wendy vous attendra à partir du 24 juin !

Il fut déjà très audacieux pour eux de choisir de sortir le film dans les salles françaises, quasiment un an après sa sortie américaine (et ses critiques mitigées – et incompréhensibles). Annoncé en juin 2020 pour une sortie le 9 décembre, puis vendu sur ses affiches comme « le conte de ce Noël 2020 », le film a fait les frais de la non-réouverture des salles. Le Covid-19 n’a pourtant pas empêché Benh Zeitlin de se rendre à Paris fin octobre dernier, pour l’avant-première du film présenté en clôture de Mon premier festival, et pour une série d’interviews ! Tournée promotionnelle à laquelle nous avons participé, bravant nous aussi le virus, le couvre-feu, le mépris pour la culture, je ne sais plus quelles mesures liberticides nous avions fin octobre, bref : on a envoyé Gaël poser mes questions et celles de Renaud, parce que pourquoi pas, après tout ? L’occasion de demander à Benh Zeitlin s’il se souvenait de notre première interview, pour Les Bêtes du Sud sauvage pendant un festival de Cannes légèrement enivré…

Qu’est-ce qui vous a donné envie de revisiter le mythe de Peter Pan, mais surtout de le faire en adoptant le point de vue de Wendy ?

Ma sœur Eliza, avec qui j’ai écrit le film, et moi avions toujours eu envie de raconter l’histoire de Peter Pan, mais d’une manière qui ne ressemblerait à aucune autre œuvre existante, qu’il s’agisse du livre original ou de la pièce (Peter Pan a d’abord été écrit en 1904 sous la forme d’une pièce puis sous la forme d’un roman en 1910 par son auteur originel, J. M. Barrie, ndlr.). Pour nous, Peter était une idée, une sorte d’ami imaginaire qui nous a guidé tout au long de notre enfance et de notre vie. Mais lorsque nous avons commencé à parler du film, le fait de raconter l’histoire de Peter ne nous semblait plus si inévitable. Le plus important, c’était une certaine idée de l’enfance comme sauvagerie. Raconter l’histoire de Wendy nous semblait plus intéressant, car elle expérimente ce sentiment de liberté totale, part pour une extraordinaire aventure mais doit également faire face à ce qu’est la vraie vie en revenant dans son propre monde. Elle doit tirer les conclusions de son expérience passée dans le monde de Peter et découvrir comment elle peut continuer à vivre sans pour autant tracer un trait sur ce qu’elle a été.

Vous avez fait ce film pour Searchlight, studio désormais possédé par Disney, qui a d’ailleurs annoncé la mise en chantier d’un nouveau remake en prise de vues réelle de Peter Pan (Peter Pan & Wendy pour Disney+, ndlr.)…

Le film était déjà quasiment terminé lorsque Disney a racheté la Fox. Il a pris beaucoup de temps à se faire, et beaucoup d’autres versions du mythe de Peter Pan étaient également en projet dans ce même intervalle, mais nous ne nous étions jamais inquiété du fait qu’il puisse ressembler à l’une d’entre elles. Nous savions que c’était une vision unique, c’est un projet fou et difficile que l’on a pas forcément l’habitude de voir sur le grand écran. À mes yeux, ce n’est pas vraiment un remake. Il s’agit davantage d’utiliser le mythe de Peter Pan, ses personnages et ses idées comme points d’entrée vers une toute nouvelle histoire qui résonne à travers de nombreuses cultures différentes.

Comme dans Les Bêtes du Sud sauvage, vos personnages principaux sont des enfants. Comment ça s’est passé au niveau du casting ?

Ça nous a pris énormément de temps ! Nous cherchions des enfants qui seraient vraiment capable de fuir avec Peter au Pays imaginaire s’il leur demandait. La plupart des enfants que nous avons choisis n’ont jamais joué au cinéma auparavant. Ils avaient la malice et l’énergie nécessaires aux rôles. Travailler le script avec eux, sur leurs rôles, ce dans quoi ils étaient bons, leur apprendre à nager, à sauter sur les falaises, sur des trains… ça nous a pris tant de temps ! On leur a fait vivre une grande aventure rien qu’en leur apprenant comment jouer dans ce film. À la fin du tournage, ils sont tous devenus d’incroyables acteurs, cascadeurs, performeurs… alors qu’ils n’étaient que « de simples enfants » au départ.

Et justement… comment avez-vous pu tourner dans de tels endroits sans parvenir à blesser ou causer la mort de l’un d’entre eux ? (rires)

Le plus grand challenge du film était de faire croire qu’il était dangereux ! Nous avions une super équipe de cascadeurs. La plupart du temps, les enfants étaient attachés à des câbles, des fils que l’on a fait disparaître en post-production. On a voulu donner l’impression que tout le monde était en train de déambuler librement dans cet environnement tortueux, qu’on jetait véritablement ces gosses du haut d’un train, qu’ils étaient en danger… mais ce n’était évidemment pas le cas ! Tout était très contrôlé. C’est aussi pour cette raison qu’on a tourné majoritairement le film en caméra à l’épaule, pour que les caméramen aient l’air toujours surpris par ce qui arrivait. Ils devaient faire comme s’il était surpris de voir un enfant sauter du haut d’une falaise. C’est surtout à travers la mise en scène que nous avons cherché à faire naître le danger, donner cette impression que n’importe qui pourrait se blesser à n’importe quel moment. Tous les lieux de tournage étaient réels : on a bien tourné sur l’océan, sur un volcan en pleine activité, dans des grottes plongées sous l’eau. Le repérage de tous ces endroits est une autre des raisons pour lesquelles le film a mis énormément de temps à se faire. Non seulement les trouver, mais aussi définir comment faire en sorte que l’équipe puisse aller et venir en toute sécurité, être sûr qu’on puisse tous évacuer les lieux facilement si quoi que ce soit se produit…

Excepté les scènes avec Mère, peu de plans semblent utiliser des effets spéciaux dans le film…

L’un des principaux thèmes que nous souhaitions aborder dans ce film était la connexion à la nature, celle que les enfants ont. Quelque chose qui se perd dans les films pour enfant et cette idée que les plus grandes aventures qu’ils puissent vivre se passent à l’extérieur, dans l’inconnu. C’est ce pourquoi nous ne voulions pas créer un monde en images de synthèse. Il nous fallait trouver des endroits où ces aventures pouvaient bel et bien se dérouler. Maintenant, on peut faire tant de choses avec des CGI, comme Le Livre de la Jungle (de Jon Favreau, ndlr.) Qui est l’histoire d’un enfant qui vit dans la nature… sans que l’enfant acteur n’ait eu à tourner une seule fois dans la jungle. Tout s’est fait entre les murs d’un studio. Nous voulions mettre en avant ce moment où les enfants jouent vraiment en extérieur, font corps avec la nature, d’où cette idée d’avoir un ton très réaliste et organique. C’était comme un test de tourner autant en décor naturel. Si on avait des effets spéciaux, il fallait que ce soit le plus possible des éléments matériels, pratiques, non-générés par ordinateur.

Vous travaillez à nouveau avec Dan Romer à la musique. Qu’aviez-vous déjà développé ensemble avant de commencer le tournage ?

C’était assez inhabituel puisqu’il nous fallait une chanson qui serait chantée par Mère et par les enfants. Normalement, on se donne déjà quelques idées sur la manière dont la musique devrait être dans le film avant de tourner, mais sans pour autant avoir déjà composé quelque chose mais là, nous avions besoin de cette mélodie dès le tournage. C’était l’une des choses que nous avons créées en premier et qui n’a jamais changé. Cette mélodie est à la fois une berceuse, qui vous ramène à cet âge où une mère chante quelque chose à son bébé… mais elle devait aussi avoir l’air d’un chant de marin ! Il fallait nous donner l’impression que ces notes avaient toujours existé, qu’elles soient simples à retenir. On l’a enregistrée deux ans avant de tourner le film et elle a servi de base au reste de la musique, nous a permis de faire naître de nouveaux thèmes qui se complétaient les uns les autres…

Vous utilisez énormément l’image du train dans le film. Elle est plus familière au public européen que pour la classe moyenne américaine, qui n’a plus vraiment l’habitude de l’emprunter. Comment vous est venue cette idée ?

La Nouvelle Orléans, là où je vis, est un véritable delta pour le milieu ferroviaire. Tous les trains des États-Unis arrivent ici, donc la ville grouille de chemins de fer. La nuit, on entend forcément le klaxon des trains et le fracas des rails… À mon sens, le train est un moyen de s’échapper. On saute sur un train, et on part vers l’inconnu ! Ça me rappelle la manière dont on en parle dans la musique folk, avec cette idée qu’un vagabond n’a qu’à prendre un train dès qu’il en a marre d’être dans une ville en particulier. Pour moi, ça correspondait complètement au personnage de Wendy, qui vit dans une petite ville, juste à côté de chemins de fer. Elle ne sait même pas où ils mènent, juste qu’ils lui permettent d’aller de l’avant, vers l’inconnu, vers l’aventure. C’est le portail qui l’amène vers le Pays imaginaire ! C’est ce qui nous a permis de remplacer une grande partie de l’aspect magique de l’histoire originale, d’aller au-delà de son aspect conte de fées irréalistes. On s’est toujours demandé ce qui aurait pu véritablement arriver dans une telle histoire. On saute sur un train, on découvre la vitesse, le vent… C’était ce qu’il y avait de plus proche du fait de voler !

Merci à Matthieu Rey et à l’équipe de Condor de nous avoir permis de rencontrer Benh Zeitlin !
Entretien réalisé le lundi 26 octobre 2020 à l’hôtel JOBO (Paris), mené par Gaël Martin. Questions de Gabin Fontaine et Renaud Besse-Bourdier. Retranscription et traduction par Gabin Fontaine.

Wendy, réalisé par Benh Zeitlin. Avec Devin France, Yashua Mack, Gage et Gavin Naquin… Sortie le 23 juin 2021.

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