Where is Jimi Hendrix ? : Electric No Man’s Land

Yiannis (Adam Bousdoukos, régulier du cinéma de Fatih Akin et tête d’affiche de son excellent Soul Kitchen en 2009) est un jeune homme un peu paumé, qui aime bien taquiner sa guitare et se rêve en chanteur à succès, bien qu’il n’arrive pas à composer le moindre album. Il s’ennuie dans sa Nicosie natale et ne rêve que de quitter Chypre et sa morosité. Il a d’ailleurs réuni juste assez d’argent pour s’en aller, dans trois jours. Il laisse tout derrière lui, y compris son ex Kika (Vicky Papadopoulou), qui lui demande cependant de garder quelques heures son chien, Jimi Hendrix, avant son départ. Malheureusement pour Yiannis, le canidé s’échappe de son appartement et se retrouve de l’autre côté de son quartier. Et l’autre côté de son quartier, il est situé dans la partie turque de la capitale chypriote, de l’autre côté de la zone démilitarisée, sous le contrôle de l’ONU. Un autre pays dans le pays, en-dehors de l’Union européenne, ce qui va considérablement compliquer la tâche de l’aspirant artiste pour ramener l’animal chez lui.

Where is Jimi Hendrix ? trouve écho dans le conflit opposant depuis le milieu des années 60 chypriotes grecs et turcs suite à l’indépendance de Chypre proclamée en 1960. Culminant sur le coup d’état manqué de 1974 mené par l’armée grecque d’une dictature des colonels déclinante et l’intervention d’occupation de l’armée turque organisée en réponse, ce demi-siècle de tensions nationalistes, ethniques, culturelles et religieuses prit forme autour de l’instauration de cette ligne de démarcation provoquant la partition du pays ainsi que de sa capitale Nicosie. Au sud, les Chypriotes grecs (dont 80.000 exilés de 1974) ; au nord, les Chypriotes turcs, autoproclamée indépendante depuis 1984, entité territoriale uniquement reconnue par la Turquie, et opérant en dehors des législations européennes. Cette République turque de Chypre du Nord, le réalisateur Marios Piperides ne l’a jamais connu pendant son enfance, les premiers checkpoints permettant de traverser la zone démilitarisée pour rejoindre l’autre côté de l’île n’ayant ouvert qu’en 2003. c’est à cette époque qu’il découvre l’autre Chypre, le No Man’s Land physique mais aussi législatif qui sépare les deux régions.

Pour l’évoquer, le cinéaste part d’un exemple simple, une situation de comédie dont il exploite les deux versants : l’absurde et le tragique. Au fil des péripéties administratives auxquelles il se retrouve confronté pour ramener Jimi Hendrix auprès de sa propriétaire, Yiannis se retrouve quasiment clandestin, étranger en son propre pays. Son histoire, c’est celle de milliers de familles relocalisées, déplacées, dépouillées de leur histoire, confrontées aux situations les plus ubuesques (dans l’un des tous premiers développements du film, Yiannis ne peut littéralement pas repasser au checkpoint grec car son chien, appartenant pourtant à une ressortissante du pays, est considéré comme rentrant d’un pays non-européen, donc illégal).

Si Where is Jimi Hendrix ? est une fable aux accents universalistes dans son message, le film de Piperides, qui a connu ces derniers mois un solide parcours dans les festivals à travers la planète (primé à Tribeca et aux Arcs notamment), réussit particulièrement dans sa manière de retranscrire avec clarté mais sans raccourcis guimauves les enjeux humains des deux côtés. Pas de gentils grecs et de vilains turcs ici, pas même d’unité quand au gré de ses aventures, Yiannis croise tour à tour un passeur chypriote turc et un immigré turc relocalisé dans la maison de sa famille exilée. Si le road-movie « accidentel » que devient peu à peu le film ne fait pas toujours des étincelles, c’est dans sa manière d’exploiter les fractures latentes d’un pays toujours autant désuni que le film parvient à trouver sa plaisante musique, et à s’autoriser même un peu d’espoir au détour d’un mignon happy end.

Petit traité de politique intérieure chypriote déguisé sous les atours d’une fable canine, Where is Jimi Hendrix ? ne manque pas d’arguments pour s’imposer comme un « crowd pleaser » gentiment kafkaïen tout en plongeant au cœur d’un inextricable pataquès qui aurait également pu en son temps inspirer certaines tragédies. Une vie de chien, à n’en pas douter.

Where is Jimi Hendrix ? De Marios Piperides, Vicky Papadopoulou, Fatih Al…, en salles le 4 mars

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