Un nouveau lieutenant de police, encore étranger à la réalité de son nouveau commissariat implanté en zone sensible, tente de se faire une place. De s’accoutumer à la violence qui y règne aussi, et qui le déstabilise. Jusqu’à l’irruption d’une nouvelle affaire qui va prendre toute la place dans son quotidien et le faire s’interroger sur son impact au sein du système. Avec comme rôle central celui de la misère, tant personnage principal que premier antagoniste.
Cette année à Cannes, deux films sont partis de là. Les Misérables de Ladj Ly a remporté le Prix du Jury et Roubaix, une Lumière d’Arnaud Desplechin est rentré bredouille. Au-delà de cette trame similaire, les deux longs-métrages déroulent leur sujet de façon radicalement différente. Le second est sorti cette semaine, et s’éloigne rapidement du point de vue de Louis, le jeune flic, pour se mettre à la hauteur du commissaire Daoud. Daoud, c’est un peu Desplechin: né à Roubaix, il observe le désagrégement de la ville jadis florissante et tente à sa façon de panser ses plaies.
La conurbation Forestier/Seydoux/Zem
Roschdy Zem est magistral en figure quasi-divine, père de tous, omnipotent et miséricordieux; et pourtant si seul et mélancolique. Sara Forestier, les yeux écarquillés, en proie à une perpétuelle stupeur, se laisse pousser du bout du coude, tout le long du film, par le besoin, par sa compagne, par la justice, par la culpabilité. Léa Seydoux, au contraire, rappelle le personnage de Masha dans Une Grande Fille (Balagov, 2019): anti-passive, voire dominatrice, toute dans le contrôle – ou l’illusion de celui-ci – et la volonté viscérale de sauver sa peau pour pouvoir élever son fils. Ces trois-là sont la meilleure chose qui soit arrivée à Roubaix, une Lumière.
Car si l’on sent que les intentions du réalisateur sont sincères, le film est inégal. Le centrer autour de la résolution d’un unique cas, à travers les différentes étapes de la procédure, c’est risquer les comparaisons avec un téléfilm policier lambda et effectivement, le film aurait pu s’éviter quelques longueurs. De même, la figure du policier comme un jeune premier qui doute, dépassé par son nouvel environnement, et qu’on va jusqu’à montrer priant au pied de son lit avant d’aller se coucher, semble un peu hors-sol et détonne avec le sujet presque documentaire. Roubaix, une Lumière est en effet inspiré d’un fait divers de 2002, et constitue de fait l’adaptation libre d’un documentaire qui a obsédé Desplechin depuis sa diffusion en 2008.
« Et parfois, tout s’illumine »
Mais parfois, un moment de grâce nous réconcilie. Certaines choses ne changent pas: les enfants jouent toujours dans les parcs, observe le commissaire, qui semble perpétuellement penché sur le rebord du monde. Après la reconstitution du meurtre, qui scelle les aveux des jeunes femmes, on les voit presque apaisées, dans le fourgon qui les emmène en prison, échanger un regard indéfinissable – leur dernier moment d’intimité. « Donne-moi la force de pardonner » implorait Louis quelques temps plus tôt, les mains jointes. Du pardon, cet échange silencieux dans le fourgon, et le rayon de soleil qui caresse les peaux à travers le grillage qui les sépare, est ce qui s’en rapproche le plus.
Alors certes, Desplechin est plus poétique, plus bourgeois aussi que Ladj Ly. Il n’est pas anodin qu’il ait choisi, pour traiter de son sujet, de passer sous silence les violences policières – qui sont le principal angle d’approche des Misérables. Le choix du personnage de Daoud, super-flic empreint d’une bonté quasi surnaturelle, interroge. Mais le parti-pris de Desplechin est clairement affiché: il ne s’agit pas de réaliser un manifeste ou un brûlot; plutôt de donner espoir en montrant une résolution possible dans la reconnexion entre police et population civile. Finalement, le regard des deux cinéastes se croise et se complète, dans leur tentative de dresser un portrait le plus exhaustif possible de ces îlots périphériques « abandonnés » par les représentants de l’autorité.
Roubaix, une Lumière d’Arnaud Desplechin, avec Roschdy Zem, Sara Forestier, Léa Seydoux, Antoine Reinartz… Sortie le 21 août 2019.