Derrière ses petites lunettes qui brillent sous les lumières de la petite salle de Bonlieu, Yōichi Kotabe raconte les débuts de sa carrière avec une énergie surprenante. Car oui, le bonhomme est tout de même né en 1936, à Taiwan – qui était alors une colonie japonaise -, c’est-à-dire qu’il a connu plus de la moitié du vingtième siècle et presque un cinquième du vingt et unième. Et pourtant, malgré ses 82 ballets, le voilà à s’agiter et utiliser un stylo pour mimer le pinceau qui l’accompagnait lors de ses premiers dessins pour la Toei en 1959…
Yōichi Kotabe n’est pas un des noms les plus connus du grand public, ce qui est à la fois dommage et évident ; dommage, parce qu’il a participé à quelques unes des plus grandes oeuvres de l’animation japonaise aux côtés de ses camarades Takahata et du jeunot Miyazaki (cinq ans de moins que les deux autres), et évident parce qu’en plus de cinquante ans de carrière, il n’a jamais voulu réaliser. Non, Kotabe est un homme de l’ombre, un artiste, un technicien qui sait mettre ses mains aux service de l’autre ; et il l’a toujours su. Alors qu’il n’était qu’un jeune enfant à Taiwan, il se souvient avoir vu un film d’animation japonaise – qui était un film de propagande, nous dit-il, mais il ne le savait pas à l’époque – et ressentit comme un déclic. Pas face à l’oeuvre en tant que telle, non ; face à un personnage. C’était un lapin (décidément, il était fait pour venir Annecy ce monsieur) blanc qui dans son animation lui parut réel… Déjà, il pensait comme un technicien.
Des années plus tard, Kotabe venait de voir le Serpent Blanc au cinéma et décida d’abandonner ses études de peinture traditionnelle pour passer le concours d’entrée à la Toei. Il intègre en 1959, en même temps que Takahata… Qui réalisera en 1968 son premier long métrage – et son dernier pensait-il, au vu de la santé du studio à l’époque – Horus le prince du soleil.
Face à Kotabe pour cette leçon, une salle remplie non pas de journalistes comme moi, mais principalement d’étudiants en animation du monde entier ; et il semble le savoir, car ses discours sont principalement axés sur la technique. Il raconte par exemple avec beaucoup de fierté comment il s’est retrouvé en charge de la « key animation » sur Horus, c’est-à-dire en charge de dessiner les moments clés de l’animation du mouvement d’un personnage. C’est durant ce film que, disait-il, Takahata a pu se lâcher, mettre de côté le divertissement et le slapstick pour donner à voir une nécessité, une réalité politique. Kotabe nous apprend beaucoup de choses croustillantes lorsqu’il parle de Horus : par exemple que Takahata a étudié la littérature française à l’université, qu’il était fan de Prévert et Grimault. Ces français sont à ce moment-là, par leur poésie et leur cinéma, des inspirations majeures pour les futurs génies de l’animation japonaise. Petit aparté, entendre Kotabe dire « Jacques Prévert » avec son accent, c’est un plaisir inouï.
L’artiste nous parle également beaucoup de Miyazaki, non sans une certaine malice ; ainsi il vante les qualités de son travail en tant qu’animateur. Selon Kotabe, celui qui est désormais considéré dans le monde entier comme le maître absolu de l’animation japonaise avait une élégance et une force quand il était animateur qui manque dans son propre cinéma. Je vous l’écris de manière plus directe que cela a été dit, mais le message était très clair.
Quelques années plus tard, alors que les chemins des trois artistes s’étaient séparés (parmi les pépins en cours de route : une série Fifi Brindacier qui fut annulée au dernier moment), voilà qu’ils se retrouvent sur deux moyens métrages, Panda Kopanda. Miyazaki était en charge de l’univers (directeur artistique), Kotabe du chara design et des mouvements (directeur d’animation), et Takahata de la mise en scène (réalisateur). Une oeuvre majeure aux yeux de Kotabe, et un moment essentiel dans l’histoire de l’animation japonaise. La suite, on la connaît tous… Mais il est beau de voir ce vieil homme raconter solennellement toutes ces histoires aux jeunes qui représentent l’avenir du medium. Ce genre de leçon ressemble aussi à un passage de flambeau.