Chambre 212 : une mécanique bien huilée

Tout part d’un malentendu : Maria (Chiara Mastroianni) n’avait pas envisagé que son mari (Benjamin Biolay) puisse ignorer, voire pire, ne pas appliquer la « règle des couples qui durent »: une petite relation extra-conjugale de temps en temps. Lorsque Richard découvre qu’elle couche avec l’un de ses étudiants – après beaucoup d’autres – le couple éclate. Au lieu de partir rejoindre son amant, Maria prend une chambre dans l’hôtel en face de leur appartement, depuis laquelle elle peut observer le rabougrissement de son mari et réfléchir à leur situation. Le film se concentre sur cette nuit d’introspection, à travers les personnages convoqués dans cette chambre n°212 par l’esprit bouleversé de Maria.

Les ingrédients du cinéma d’Honoré sont réunis: Paris, des amours contrariées, une B.O. à base de variété française; Chiara Mastroianni, aussi, qui collabore pour la quatrième fois avec le réalisateur. Il ne manquerait plus que Louis Garrel, presque convoqué ici par un Vincent Lacoste aux cheveux très courts (il le remplaçait déjà dans le film précédent, ndlr). Si la recette peut en théorie paraître lassante au bout de douze long-métrages, il faut avouer qu’elle fonctionne bien dans le cas de Chambre 212.

« C’est formidable d’être profond et drôle à la fois » a déclaré Christophe Honoré. Le voilà qui récidive, quelques mois après avoir écrit et monté Les Idoles sur les planches de l’Odéon, déchirante pièce faisant dialoguer six personnalités mortes du sida et hymne à la vie arrachant bien des sourires. Le comédien Harrison Arevalo, qui y campait un Cyril Collard impétueux et très émouvant, endosse ici le rôle du bâton de dynamite qui va faire exploser le couple. Sa maîtresse collectionnant les amants aux noms originaux, son patronyme devient un running gag, de même qu’il cristallise les insécurités du mari trompé – et contient donc à lui seul ce savant mélange entre profondeur et légèreté, dont le réalisateur se revendique.

La chambre 212: boîte de Pandore ou refuge salutaire ?

Comme Douleur et Gloire, autre produit du cru cannois de cette année, Chambre 212 évoque les effets du temps qui passe et ses répercussions dans une relation de longue durée. Benjamin Biolay y joue très bien le mari déprimé; peut-être parce qu’il a, comme son personnage, aussi constitué un couple de longue haleine avec Chiara Mastroianni. Camille Cottin, enfin libérée du carcan de rôles auxquels celui d’Andréa Martel, dans la série Dix pour cent, semblait l’avoir cantonnée, peut enfin livrer une palette de jeu plus complexe et plus touchante. Quant à l’actrice principale, récompensée par le Prix d’Interprétation de la section Un Certain Regard, qu’elle dédie à Honoré dans son discours de remerciements, elle déclare n’être « qu’un instrument pour [lui] »: si on peut se permettre de s’immiscer, il s’agit peut-être bien de la relation verticale la plus prolifique qu’on ait vue dans le cinéma français.

Au-delà de faire travailler des acteurs qui brillent dans les rôles qui leur sont proposés, c’est aussi le concept qui donne son nom au film, ainsi que le regard malicieux posé dessus par son réalisateur, qui « font tout ». Entre hallucination nocturne, boîte de Pandore et refuge salutaire, la chambre 212 incarne tout ce qui fait peur dans un couple qui dure. Néanmoins, la possibilité de voir les fantasmes et les dilemmes de Maria sur grand écran nous invite à nous retirer, nous aussi, de temps en temps, dans notre chambre 212 personnelle. Avec une sortie en salles prévue pour octobre, on parie que l’automne 2019 va voir tous les hôtels de France afficher complet.

Chambre 212 de Christophe Honoré, avec Chiara Mastroianni, Benjamin Biolay, Camille Cottin, Vincent Lacoste, Carole Bouquet et Harrison Arevalo. Sortie le 9 octobre 2019.

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