Haut les cœurs mes chers frères mes chères consœurs, Renaud (Captain Jim) et Lucas (Lucas) sont de retour à Annecy en pleine bourre pour vous offrir votre compte-rendu hebdomadaire préféré : une semaine au grand Festival d’Animation, au bord du lac et face aux montagnes.
Cette année, nous arrivons cernés d’un ciel bleu, mais parsemé de nuages menaçants, ce qui ne présage rien de bon niveau météo pour cette édition 2018 ; heureusement, le soleil de la semaine est dans les salles. Jugez plutôt : Michel Ocelot, Zabou Breitman, Brad Bird, Gendy Tartakovsky, Masaaki Yuasa, Mamoru Hosoda… Les premières images de Dragons 3, des Mondes de Ralph 2.0, de Spider-Man Into the Spider-Verse, des Hirondelles de Kaboul, du film Playmobil (sans commentaire)… Les conférences de Les Femmes s’Animent, les rencontres du MIFA, les soirées folles ! Grâce à nous, ce sera comme si vous étiez. Mais sans la pluie. Donc encore mieux. Que va-t-il se passer cette année ? Aurons-nous des amours fous pour des films inattendus ? De la haine pour d’autres films inintéressants ? Est-ce qu’un de nos rédacteurs (que nous ne nommerons pas pour ne pas humilier ce pauvre Renaud) ira encore, légèrement éméché, raconter n’importe quoi à un grand réalisateur de chez Disney lors d’une soirée ? La réponse dans nos articles.
Au programme de ce premier jour : quelques longs métrages en compétition, et la cérémonie d’ouverture avec le nouveau film de Michel Ocelot : Dilili à Paris. À ne pas oublier également : le lundi est aussi un moment très important pour le monde de l’animation puisque les conférences de Les Femmes s’Animent se passent ce jour-là. L’occasion d’y voir de grandes discussions sur le sujet de la parité dans le milieu, des vrais projets d’intégration, et d’autres qui ressemblent plus à de la poudre aux yeux. Mention spéciale à Cartoon Network qui s’est fendu d’un communiqué de presse pour nous annoncer leur soutien à toutes les femmes du monde entier, parce qu’ils ont décidé de donner une bourse à UNE étudiante de la zone EMEA cette année.
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Long métrage en compétition : Miraï, de Mamoru Hosoda.
Cela faisait longtemps que nous attendions ce film ; d’abord diffusé à Cannes lors de la Quinzaine des Réalisateurs, visionné à ce moment par nos collègues de Cinématraque, puis rediffusé à Paris lors de la Reprise Quinzaine au Forum des Images, le voilà enfin là où il risque d’être reçu comme il le mérite.
Mamoru Hosoda continue sans relâche d’exploiter sa sainte trinité avec Miraï : la famille, l’espace, le temps. Mais c’est sans doute la première fois qu’il le fait de manière aussi frontale, aussi épurée. Miraï, c’est la petite sœur qui vient chambouler la vie du premier né d’un couple japonais de classe moyenne : voilà la famille. Le petit garçon et héros du film, refuse totalement cette invasion mal venue qui lui retire sa place de centre du monde/domicile familial : voilà l’espace. Et ce dernier, comme souvent chez Hosoda, a quelque chose de magique… Il permet au petit garçon de converser avec son arrière grand-père quand il était jeune, avec son chien, avec une Miraï adulte. Voilà le temps !
Chacune de ces rencontres seront à la fois l’occasion pour le petit garçon de grandir (comprenez : découvrir que le monde ne tourne pas autour de lui), et l’opportunité pour Hosoda de déployer ses petits plaisirs de mise en scène et d’animation. Mais toujours en sobriété cette fois, surtout si l’on compare à sa sortie précédente (Le Garçon et la Bête) : en effet la seule séquence qui sort de l’ordinaire plonge le petit garçon dans une gare urbaine futuriste et infernale… De quoi vraiment foutre les pétoches à vos gamins.
Oui, Miraï est effectivement un film qui s’adresse principalement aux enfants ; ce qui ne l’empêche pas d’être extrêmement mature. Les parents notamment, sont très loin d’un couple parfait, et encore moins de parents irréprochables. C’est la beauté de Miraï : montrer tous ces personnages par leurs défauts, mais le faire avec énormément d’amour. Facile donc de conclure ainsi : le dernier Hosoda est un beau film.
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Long métrage en compétition : Virus Tropical
C’est Virus Tropical de Santiago Caicedo qui a ouvert le bal à la traditionnelle première projection de 10 h 30 du lundi matin dans une salle pleine a craqué de spectateurs enthousiastes. Le film est adapté de la bande dessinée du même nom de l’auteur Power Paola. Autobiographique, le film se présente comme des tranches de vie de Paola, articule autour des éléments clefs de son enfance jusqu’à la fin de son adolescence.
Le charme du film tient principalement de son audace visuelle. Si certains choix de réalisation font surement perdre un peu de dynamisme au film, l’investissement personnel de Power Paola sur le long-métrage qui a fourni environ 5000 dessins personnels, permet a Virus Tropical de garder l’identité graphique du support original. À son coup de crayon fin et minimaliste se mêle des éléments en 2D animes séparément, des ciels délavés, des éléments colories au feutre dans une naïveté assumée, des mouvements de cameras que seule l’animation peut proposer comme pour la scène d’ouverture ; La pluie tombe sur la ville de Quito alors qu’un couple fait l’amour dans un appartement. La camera se recule, remonte vers le ciel, et les gouttes de pluie se transforme en spermatozoïdes que l’on va suivre jusqu’à la fécondation. Voilà le genre de choix audacieux qui écartent le film du public le plus jeune.
La mère de Paola s’étant fait ligaturer les trompes, sa grossesse est un mystère amenant les médecins à toutes sortes de diagnostics farfelus, évoquant la possibilité d’un virus tropical donnant le titre a l’œuvre. Le film s’ouvre donc sur cette question intéressante de grandir et trouver sa place dans un monde qui ne nous a pas désirés. Mais peu à peu, le film s’en éloigne et se construit autour des moments de vie, drogues, amour, sexe, qui construisent la future Paola adulte. Si la structure est classique, elle n’en demeure pas moins efficace et touchante grâce à l’humour dramatique et le regard singulier de son personnage principal. De l’Équateur a l’Argentine, Paola est entouré de femmes, sa mère, ses deux sœurs, sa grand-mère et leur aide de ménage. Un père absent qui permet au métrage de venir questionner le délitement du tissu familial, bien loin de l’image d’unité que la fiction donne habituellement des familles latines fusionnelles. Un joli parcours de vie féminin qui a trop vouloir s’intéresser a l’ensemble ne fait qu’effleurer certains personnages.
Long métrage en compétition : La Casa Lobo
Le premier chamboulement du festival. Le genre de film qui nous rend contents d’être au festival d’Annecy parce qu’on doute le voir un jour parvenir jusque dans nos salles. Je m’y rendais sans rien en savoir, intrigue par mon amour pour la stop motion et une photo du film représentant des figurines en papier maché et en sachant simplement que ce film chilien a connu une production longue de 7 ans, devant ruser afin de trouver ses financements.
Le film s’ouvre sur des images en prise de vues réelle façon pub qui nous vantent la qualité d’un miel fabrique par une communauté d’Allemands au Chili… Dans La Casa lobo, il s’agit bien de loups, de trois petits cochons, et de Boucle d’or, mais sans les 3 ours. C’est l’histoire de Maria qui a fui la communauté présentée au début du film parce qu’elle a laissé s’échapper les trois cochons. Pour éviter la punition elle prend refuge dans une cabane dans les bois. Dès lors, le film se transforme en cauchemar éveille. L’idée est de cacher les coupes potentielles pour donner une impression de plan séquence comme un long souffle retenu. La cabane devient oppressante, l’histoire se dessine sur les murs a la peinture, les marionnettes de papiers machés se font et se défont, changent de forme. Les cochons voient leurs sabots se transformer mains, ou ne faire qu’un avec le fauteuil. Une atmosphère suffocante et morbide, empreinte de poésie qui fait penser aux premiers travaux de David Lynch et son Eraserhead.
Une fable racontée par le loup qui est l’incarnation de Paul Schafer, ancien caporal SS qui a fui les accusations de viols sur mineurs, pédophilie et les procès des criminels nazis à la fin de la Seconde Guerre mondiale. De quoi laisser présager qu’il faudra se méfier de la morale de ce conte. Il a formé au Chili la Colonia Dignidad, véritable secte à sa gloire et a ouvert ses portes aux hommes de Pinochet pour qu’il puisse torturer les opposants au régime. Le film est par ailleurs truffé de références et détails difficilement déchiffrables au premier visionnage, mais sa capacité à envouter, sa technique, sa narration en fait un des films majeurs de cette édition.
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Cérémonie d’ouverture : Dilili à Paris, Bird Karma.
Très vite, le soir arrive, et la foule s’amasse dans la grande salle de Bonlieu pour la cérémonie d’ouverture, où le maire de la ville se félicitera de la réussite toujours grandissante du festival ainsi que des nombreux projets mettant des femmes en avant : d’ailleurs, elles sont très présentes dans les différents jurys comme l’an dernier.
En guise d’amuse-bouche, nous avons eu droit à une grande première : le premier court métrage de Dreamworks. Vous vous souvenez probablement, il y a quelques années, on nous a annoncé la mort du studio… Depuis, ce dernier a été racheté par Comcast et annonce donc ainsi avec Dragons 3 son renouveau, qui passe par un nouveau logo. Ce renouveau s’accompagne donc d’entreprises artistiques originales comme la création de courts métrages. Le premier à être terminé s’appelle Bird Karma, réalisé par William Salazar : c’est l’histoire d’un oiseau qui bouffe des poissons dans un étang, et qui est bouleversé à la vue d’un beau poisson rouge. Il veut absolument le pécho. Ou le pécher. Enfin le manger quoi. Le tout bénéficie d’une animation 2D extrêmement plaisante et d’une animation terriblement amusante, toujours soulignée par une musique délicieuse qui accompagne le moindre geste de l’oiseau. Une réussite, donc !
Puis vient le moment tant attendu : le nouveau film de Michel Ocelot. On vous en avait déjà parlé lors du Carrefour d’Animation du Forum des Images, c’est l’histoire de la petite Dilili, petite fille métisse (mi-blanche Française, mi-noire Kanake) érudite qui pourchasse des kidnappeurs de petites filles dans le Paris du début XXe. Soyons honnêtes : difficile de savoir quoi en penser. D’un côté, le film est assez jouissif ; sous couvert de film d’époque il se fait pamphlet moderne contre les violences faîtes envers les femmes en 2018, contre les masculinistes qui trouvent que « le féminisme va trop loin », contre la police, la bêtise. C’est aussi un catalogue sans fin de célébrités intellectuelles françaises, et surtout de célébritéEs : Sarah Bernardt, Louise Michel, Marie Curie et la cantatrice Emma Calvé y jouent un peu le rôle d’Avengers de leur époque. Dilili à Paris, c’est un peu la fan fiction de Michel Ocelot d’un Paris menacé par les pires atrocités, mais surtout d’un Paris grandiose, humaniste, puissant ; bref, d’une France qui est à la hauteur des idéaux qu’elle brandit chaque jour avec hypocrisie.
Pour autant, nul doute que nombreuses seront les réserves vis-à-vis du film… Parce que ça reste du Michel Ocelot. L’animation y est minimaliste, les voix théâtrales et baroques au possible, le style très original tout en restant très classique… On ne sait quoi penser. Ce mélange de prise de vues réelles, 2D et 3D aurait pu mieux marcher s’il avait été plus équilibré. On laissera judicieusement les enfants se faire un avis eux-mêmes sur le film quand il sortira ; nous, on est partis danser jusqu’à pas d’heure et profiter des verres de champagnes gratuits, comme des sales privilégiés. Dehors, sous la pluie et sur la pelouse, une poignée d’irréductibles profite du film projeté en plein air sous la pluie : Annecy, c’est bel et bien le plus beau des festivaux.