Diamantino, une histoire politique et hallucinatoire du football

Il y a de ces films que l’on attend, impatiemment, sans pour autant en connaître finalement grand-chose. Diamantino de Gabriel Abrantes et Daniel Schmidt est de ces films-là. Pas de bande-annonce pas plus que de teaser et pourtant, un synopsis et des images qui laissent présager un gros wtf comme on les aime ! Alors, ce matin, on s’est laissé tenter, et on a bien fait : Diamantino est un magnifique objet filmique non identifié autant loufoque que diablement engagé !

Mais, revenons-en au début : Diamantino (Carloto Cotta), icône absolue du football, est capable à lui seul de déjouer les défenses les plus redoutables. Alors qu’il joue le match le plus important de sa vie, son génie n’opère plus. Sa carrière est stoppée net, et la star déchue cherche un sens à sa vie. Commence alors une folle odyssée, où se confronteront néo-fascisme, crise des migrants, trafics génétiques délirants et quête effrénée de la perfection.

Folle odyssée, où se confronteront néo-fascisme, crise des migrants, trafics génétiques délirants et quête effrénée de la perfection

Dans son récent ouvrage Une histoire populaire du football (2018), Mickaël Correia établit l’hypothèse que le sport le plus populaire du monde a, à sa façon, envisagé la lutte et la contre-culture de l’Angleterre à la Palestine en passant par le Mexique, le Brésil ou l’Afrique du Sud. Le Portugal, terre d’Eusebio, Luis Figo et Cristiano Ronaldo autant que celle de Diamantino, n’échappe évidemment pas à cette règle. En prenant un footballeur comme personnage principal, Abrantes et Schmidt ne s’y sont pas trompés pour parfaite une critique acerbe du monde occidental et plus spécifiquement du Portugal. Critique qui n’est pas sans rappeler celle de Miguel Gomes dans ses Milles et une Nuits (2015) la maestria en plus pour le Lisboète. Le ton est d’ailleurs donné très rapidement, l’opium du peuple, ce n’est plus la Religion ni la Politique, c’est le Football insiste Diamantino en voix off. La messe se fait désormais plusieurs fois par semaine dans les enceintes toutes plus impressionnantes les unes que les autres. Le christianisme, le protestantisme, le bouddhisme, le judaïsme et l’islam cèdent progressivement leurs places au FC Barcelone, au Real Madrid, à Manchester United, à l’Olympique de Marseille ou aux Corinthians. La croix est remplacée par le maillot. Les artistes ne se nomment plus Michel-Ange et de Vinci mais Neymar et Iniesta. Seul Messi reste Messi. Autour d’eux gravitent des sommes d’argent colossales, la question n’est pu de savoir si cela doit s’envisager dans une perspective judéo-chrétienne, mais de comprendre cette folie capitalistique et d’aura propre à ces nouveaux dieux acclamés par des millions de personnes à travers le monde.

Diamantino est un de ces dieux, célébré au Portugal comme une légende vivante, son jeu maniant vitesse et puissance ainsi que son allure impeccable et travaillée rappellent Cristiano Ronaldo, son pendant réel. Cependant, la vision du footballeur telle que l’envisagent les deux cinéastes continue dans le cliché bien connu du joueur sans cervelle (ce à quoi l’auteur de ses lignes n’est évidemment pas d’accord). Cependant, dans la diégèse du film, ce cliché (qui n’est pas le seul) fonctionne parfaitement. En fait, on sent rapidement que Schmidt et Abrantes vont s’amuser à construire et déconstruire divers archétypes : le footballeur imbécile, la femme potiche, le savant fou et tant d’autres. Autant de fabrications mentales et représentatives faisant inévitablement référence au maître Mario Bava. Référence à l’Italien que l’on retrouve dans le récit lui-même. On assiste à une enquête des services secrets portugais sur un possible détournement de fonds du footballeur (faisant encore une fois écho à Cristiano Ronaldo) pendant que les sœurs jumelles de Diamantino, nouvellement nommées agents du joueur, l’embarquent dans une campagne de propagande politique qui doit sceller la sortie de l’Union européenne pour le Portugal.

S’emparer du football, c’est s’emparer de formidables outils de propagandes, de contre-cultures, de révoltes voire de révolutions qui sont à la portée du peuple

Problème, cette campagne se fait au nom du parti fasciste portugais prêt à tout pour utiliser l’image du joueur à des fins propagandistes : publicité rappelant la grandeur passée du Portugal (pré-2008), remise en cause de l’ouverture des frontières et donc de la souveraineté nationale, clonage de Diamantino pour créer une équipe de football imbattable qui servira de porte-étendard à l’internationale, etc. Autant de techniques loufoques qui font pourtant écho à des événements historiques récurrents lorsqu’il s’agit de rapprocher ballon rond et politique : l’Italie de Mussolini faisait de la Nazionale une armée imbattable à la veille de la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne d’Hitler était prête à incorporer des joueurs austro-hongrois (comme Matthias Sindelar) pour faire de la Mannschaft une équipe à la grandeur de son idéologie ou encore la politique footballistique de Mobutu Sese Seko au Zaïre. S’emparer du football, c’est s’emparer de formidables outils de propagandes, de contre-cultures, de révoltes voire de révolutions qui sont à la portée du peuple.

Mais, Diamantino est un homme naïf, dans le sens étymologique : « qui naît ». Il naît suite à la fin de sa carrière footballistique. Ne sachant que faire de tout son argent, ce sont ces deux sœurs jumelles qui s’en chargent et l’impliquent dans des affaires compromettantes. Ne sachant pas gérer son image, c’est le « front national portugais » qui s’en mêle. Il possède une aura importante, il ne reste plus qu’à la manipuler pour exalter les foules et raviver la haine de l’Autre. Pourtant, chez lui dans sa villa, Diamanntino est tout sauf raciste. Bien au contraire, suite au décès brutal de son père et à son rêve déchu de mener l’équipe de football portugaise au sommet, il décide d’adopter Tino avec qui une forte histoire naîtra. Une relation père-fils qui évolue presque en relation fraternelle tant Diamantino semble être passé à côté de son enfance et des joies entourant cette période. Ce n’est pas anodin d’ailleurs si malgré son statut de star adulée du football, Diamantino est un novice sexuel. Le film joue perpétuellement dans les contrastes : le jeune migrant agent secrète lesbienne (oui oui), la nonne jalouse, les jumelles faussement bêtes, la savante folle prise de questionnement éthique et évidemment Diamantino dont nous tairons ici les contrastes et transformations.

Première œuvre remarquable, voguant entre les genres, entre le pathétique et le grotesque, le sublime et le sensible, l’hilarant et le beauf, la comédie et la tragédie : l’essence de Diamantino pourrait se résumer à ce moment entre Tino et une présentatrice de télévision. Lui vient de perdre son père qui traversait la mer, elle joue d’une obscénité répugnante. Pourtant, dans leurs dissemblances et leurs différences, iels sont autant nécessaires à l’un qu’à l’autre !

Diamantino de Gabriel Abrantes et Daniel Schmidt, avec Carloto Cotta, Cleo Tavares, Anabela Moreira, Margarida Moreira et Carla Maciel. 1h32. Prochainement en salles.

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