Cold War : Dans le froid, dans les flammes

Curieuse carrière que celle de Pawel Pawlikowski, officiellement intronisé cette année comme tout bon cinéaste polonais à trois voyelles, 26 consonnes et 72 points en mot compte double au Scrabble comme réalisateur cannois avec ce Cold War. Après une décennie de documentaires pour le compte de la BBC, une autre de petits drames indés britanniques avec la fine fleur du genre (rattrapez fissa si vous ne l’avez pas vu le divin My Summer of Love, sorti en 2004, premier rôle principal sur grand écran d’une toute jeune Emily Blunt), une pause sabbatique et une escapade par la France (La Femme du Vème, adapté de Douglas Kennedy, 2011), le globe-trotter avait reposé sa caméra dans son pays natal il y a 5 ans avec Ida. Véritable Cendrillon de l’été 2013 avec un score en salles avec plus de 500.000 entrées (un chiffre colossal pour un drame en noir et blanc sur une religieuse tourné dans la langue de Jean-Paul II et Robert Lewandowski), Ida s’était catapultée jusque dans la course aux Oscars, décrochant la statuette du meilleur film étranger.

Il allait sans dire que la cinéphilie mondiale attendait patiemment de voir comment le nouveau chouchou du cinéma d’Europe de l’Est allait rebondir après ce qui ressemblait à un vrai conte de fée. Il aura fallu attendre cinq ans pour le voir présenter sur la Croisette Cold War, une romance tragique, à nouveau en noir et blanc entre une jeune chanteuse de la cambrousse polonaise et son imprésario, à travers l’histoire de leur pays pendant la Guerre Froide, mais aussi dans l’exil qui s’en est suivi.

Reprenant les recettes formelles de son dernier long-métrage, Pawlikowski entend signer une fresque romanesque et lyrique s’étalant sur une quinzaine d’années (la décennie des années 50 et un épilogue situé dans la suivante), liant la petite histoire des cœurs et la grande Histoire, le tout en 1h40 montre en main. Vaste programme, que le cinéaste met en place par un tout aussi vaste système d’ellipses, captant son histoire par fragments comme pour mieux illustrer la lente mais fatidique décomposition d’un couple. Ce couple, c’est Victor (Tomasz Kot) et Zuzanna, dite Zula (Joanna Kulig, visage bien connu des films récents de Pawlikowski). Lui est avant tout un artiste en quête de gloire et d’absolu, tandis qu’elle, constamment renvoyée à la modestie de ses origines, aspire à une existence calme et à l’abri de la violence du monde malgré son immense talent de chanteuse. Deux ambitions intimes au final incompatibles qui ont sur le papier de quoi nourrir un drame universel et déchirant.

Un objet filmique visuellement magnifique mais victime de sa propre ambition théorique

Sauf qu’en procédant par cette narration elliptique qui transporte ses héros un peu partout sur continent, de Berlin à Zagreb en passant par Paris (le temps d’une apparition de Jeanne Balibar et Cédric Kahn), le cinéaste étiole peu à peu tout ce que le premier acte s’était échiné à mettre en place. Les élans du cœur tels qu’ils apparaissent s’enferment dans une succession de tableaux qui précipite l’évolution de la relation entre Victor et Zula et les fige dans le récit plus stéréotypé d’un amour impossible dans ce monde.

Il en ressort un objet filmique visuellement magnifique et impeccablement maîtrisé grâce au travail de Lukasz Zal, mais victime de sa propre ambition théorique, asséché et neutre, où certaines belles idées de mise en scène (comme le recours au format 4/3, comme sur Ida, pour étouffer les personnages dans leur cadre) deviennent des artifices théoriques empêchant le film de déployer ses ailes. Cold War n’est en rien un mauvais film, mais l’expérience frustrante d’une œuvre qui s’est crue trop vite virtuose, ce qui rend le résultat d’autant plus rageant vue la dimension personnelle de cette histoire inspirée de la vie des parents de Pawlikowski (qui portent d’ailleurs les mêmes noms).

De ce constat d’un gâchis relatif, on retiendra cependant la brillante composition de Joanna Kulig, impeccable dans le rôle de cette femme qui s’écroule sous le poids de ce que lui demande le monde et finit par abdiquer par lassitude. S’il ne lui est évidemment pas encore promis, son nom sera probablement dans les débats du jury au moment de trancher le choix du Prix d’interprétation féminine. Elle est probablement celle qui apporte dans Cold War le plus de flamme à un film qui en manque cruellement. Quelle tristesse au final habite ces mélodrames qui ne savent pas nous mettre la larme à l’œil…

Cold War de Pawel Pawlikowski, avec Joanna Kulig, Tomasz Kot, Agata Kulesza…, sortie en salles prévue le 31 octobre

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