Cher lecteur, me voilà fort marri. En ce mardi 2 mai synonyme d’ouverture du Forum, Séries Mania ouvrait les festivités sur son versant professionnel, qui a occupé une part importante de l’auteur de ces lignes. Pour briser un peu la monotonie des séances d’avant-première, quoi de mieux que de joyeuses interviews en anglais sans traducteur et des séances de PowerPoint améliorés pour ambiancer une journée ? Mais vu que c’est impossible de rendre tout ça un tant soit peu funky et que je tiens à mon audience (j’ai essayé, promis), on va lever la pédale et se concentrer sur des à-côtés qui parlera un peu plus lecteurs de Cinématraque, vous que je sais avant tout être des romantiques et des esthètes dans l’âme.
Un petit (enfin non, un vrai bon gros) mot tout de même sur l’un des petits extras du festival : la présence d’installations VR nous proposant des séries en réalité virtuelle. Sans pour autant attendre le degré d’avancement du catalogue proposé dans les festivals spécialisés comme le récent NewImages couvert par notre cher Captain Jim, on a pu jeter un petit coup d’œil sur deux ou trois projets intéressants, bien que faisant partie du team « putain c’est bien ces casques mais c’est quand même bien relou au bout de 20 minutes ». Au menu notamment, deux courts épisodes de Great Performers VR – LA Noir, série de pastiches de films noirs pour le compte du New York Times réalisés par Gina Prince-Bythewood (Beyond the Lights), mettant en scène Don Cheadle et Natalie Portman. Agréable mais très gadget, une bonne introduction pour les novices afin de les apprendre à construire un espace filmique par le regard sans être trop dérangés par une action statique. Pour ceux qui voudraient s’y essayer chez eux, les neuf épisodes sont disponibles compilés sur Youtube.
Étape suivante : Sergent James, court-métrage de sept minutes d’Alexandre Perez vous mettant dans la peau du « monstre sous le lit », observant à hauteur du sol une chambre prendre vie dans la nuit, comme une forme de Toy Story rencontrant les jeux vidéo Five Nights at Freddy’s (en moins horrifique, ça reste tous publics). Ici, le personnage reste immobile mais l’action devient multidirectionnelle, une sorte d’étape intermédiaire en quelque sorte. Une excellente préparation pour la suite du programme, avec notamment Dinner Party (premier épisode d’une anthologie VR consacrée au couple Hill, rendu célèbre pour avoir été le premier couple à déclarer avoir fait l’objet d’un enlèvement extraterrestre) ou encore Altération, production Arte au joli casting franco-hollywoodien (Pom Klementieff, Bill Skarsgard, Amira Casar, Lizzie Brocheré). Deux productions bien perchées, un poil hésitantes techniquement par moments, mais exploitant à merveille deux champs d’expérimentation parmi les plus fascinants ouverts par le cinéma en réalité virtuelle : la construction d’espaces alternatifs et hybrides par l’activité du spectateur pour le premier, et la contamination (voire la combustion) du réel pour le second. On n’atteint probablement pas les sommets d’inventivité des festivals spécialisés, mais le public visé n’est évidemment pas le même. Par l’introduction graduelle qu’elle apporte, court après court, à toutes les composantes à prendre en compte pour l’œil non averti, cette sélection VR est une initiation parfaite au genre pour tous les publics.
Pour le reste, je passerai assez vite sur le reste de la programmation du Forum Séries Mania, à ceci près qu’on y trouve de quoi picorer pour à peu près tous les profils, des plus créatifs aux plus cartésiens. On a pu pêle-mêle y comprendre, au fil de la présentation d’une étude UniFrance sur l’avenir du cinéma français face aux nouveaux enjeux du numérique, que de trop nombreux acteurs du système se contentent encore de faire l’autruche face au bordel ambiant de la production et de la distribution des films en France (ce qu’on savait déjà, mais ça fait jamais trop de mal de l’entendre de la bouche des institutions elles-mêmes). Et ce tout en enchaînant avec une chouette discussion en petit comité avec Charlie Covell (showrunner de The End of the F*****g World, dispo sur Netflix) et une conférence sur les enjeux stratégiques de la chaîne Channel 4. Du bon kink pour les TV Nerds en quelque sorte, mais un poil trop fastidieux à retranscrire dans le détail (au pire les liens hypertextes renvoient aux mini-livetweets faits à chaud). Et demain, c’est la rockstar Reed Hastings qui va venir passer un coup de lance-flammes sur tout ça, on attend la bataille d’Hernani en plein amphithéâtre ou rien.
Du côté du programme ouvert au public, deux séries au programme de la journée. Tout d’abord, rattrapage programmé pour l’israélienne Autonomies, présentée hier soir en compétition officielle. Rejoignant un contingent national qui a fait énormément parler de lui depuis le début du festival (la série sur l’autisme On the Spectrum et la comédie Significant Other, toutes deux extrêmement bien reçues par les festivaliers, et toutes deux ratées par le sens infaillible du choix des séances de votre serviteur), Autonomies est une dystopie rejoignant tout de même en de nombreux points la situation actuelle du pays. Sauf qu’ici on ne parle pas de démarcation entre Israéliens et Palestiniens, mais d’une société divisée entre Jérusalem, restée juive orthodoxe, et Tel Aviv, qui s’est constituée en territoire autonome séculaire. Sous fond de vives tensions religieuses, une sage femme lâche une véritable bombe en confiant un jour avoir échangé quelques années plus tôt deux bébés, dont les familles appartiennent bien évidemment à des familles de chaque côté de la muraille séparant les deux camps. Efficace, assez drôle, et maîtrisant parfaitement son postulat de départ assez casse-gueule, la série questionne efficacement l’identité d’un peuple toujours en train de débattre sur lui-même.
En fin de journée, c’est l’un des événements français du festival qui s’avançait avec Thanksgiving, mini-série d’Arte réalisée par Nicolas Saada, creusant sur sillon sur petit écran comme il l’a fait sur le grand, par l’entremise de l’espionnage. Ici, c’est dans le milieu de l’industrie informatique que l’ancien de Nova et des Cahiers du Cinéma s’aventure, à travers l’histoire de Vincent, cofondateur d’une start-up développant un anti-virus révolutionnaire, qui se retrouve au cœur d’un scandale de piratage orchestré par son principal concurrent. Le chaos s’infiltre alors brutalement dans sa vie professionnelle mais aussi de couple, alors que son épouse d’origine américaine se lance de son côté dans des affaires immobilières tout aussi dangereuses.
À l’origine conçue en six épisodes avant d’être réduite à trois, la mini-série impose d’entrée son rythme étrange, fait d’ellipses et flottements, pour un résultat assez désarçonnant. L’atmosphère volontairement froide de l’ensemble n’aide pas à l’immersion, ce qui n’aide pas forcément sur un format aussi court. Aride et avare en action, le résultat ne manque pas d’atouts, à commencer par la prestation tout en mutisme et en trouble de Grégoire Colin, qu’on avait un peu perdu de vue depuis quelques années et qu’on redécouvre ces derniers mois dans le paysage cinématographique et audiovisuel français. Le reste du casting n’est pas forcément toujours du même acabit, à l’image d’un Hippolyte Girardot cabotinant assez joyeusement en bad guy de la tech féru de la culture coréenne, ou du grand Frederick Wiseman, auquel on voue un respect infini mais dont la présence devant la caméra (il avait déjà joué dans le court Aujourd’hui réalisé par Saada en 2012) tient plus du gimmick cinéphile qu’autre chose. Pas désagréable à suivre, traversée par moments de belles séquences de tension, Thanksgiving reste néanmoins une relative déception, ressemblant plus qui plus est à un film saucissonné en trois tronçons qu’à trois véritables épisodes.
Autonomies de Yehonatan Indursky, Ori Elon avec Assi Cohen, Shuli Rand, Daniella Kertesz…, date de diffusion encore inconnue en France (6 épisodes)
Thanksgiving de Nicolas Saada avec Grégoire Colin, Évelyne Brochu, Stephen Rea…, date de diffusion encore inconnue en France sur Arte (3 épisodes)