The Disaster Artist, c’est James Franco

Tout le monde n’a pas vu The Room, le prétendument meilleur mauvais film de l’histoire. Mais depuis quelques mois, tous les cinéphiles en ont entendu parler. La faute au nouveau long-métrage de la bande Franco/Rogen/Goldberg, qui se penche sur un tournage chaotique légendaire. La faute aussi à l’association Panic ! Cinéma et à leurs amis de Chroma, qui ont organisé des soirées totalement folles autour de The Room dans un Grand Rex plein à craquer. Et la faute enfin à Greg Sestero, auteur du livre The Disaster Artist, dans lequel il raconte son amitié follement compliquée avec le fascinant Tommy Wiseau, auteur de The Room.

Impossible donc de parler du film de James Franco autrement qu’en contexte : The Room date du 21ème siècle. Le livre autobiographique de Sestero n’a que quelques années. Aujourd’hui encore, des projections de The Room en présence de Tommy Wiseau et Greg Sestero ont lieu partout dans le monde. L’espace cinématographique et littéraire est déjà saturé : que peut donc apporter de plus le film de James Franco ?

Rien. Très honnêtement, absolument rien. C’est un exercice de style pur et demi-molle qui échoue à retranscrire la manière si particulière qu’a d’exister Tommy Wiseau. The Disaster Artist est un échec à partir du moment où il échoue à répondre à sa promesse première : raconter comment The Room est venu au monde. La majorité des problèmes qui ont lieu sur le tournage ne sont mêmes pas évoqués dans le film, d’autres sont fabriqués de toutes pièces. La scène finale du film par exemple, n’a jamais eu lieu ! Et elle lisse le rapport jamais simple que Tommy entretient avec son propre film : lui qui pensait créer un chef d’oeuvre dramatique, le voilà réduit à assister à des projections jusqu’à la fin de sa vie où des salles entières pleurent de rire devant sa création.

Jouer ou singer, telle est la question.

Le film de Franco réussit ailleurs et séduit autrement, ce qui peut expliquer son succès : les performances des frères Franco sont admirables, et la trame narrative est franchement drôle. La mise en scène en revanche est plus difficile à expliquer ; la caméra est à mi-chemin entre neutralité et documentaire à l’épaule, ce qui en fait un ensemble peu expressif. La bande-son vient parfois souligner l’image, mais sans que cela soit vraiment efficace : on pense notamment à la première scène de Tommy Wiseau. Lors d’un cours de théâtre, le type étrange à l’accent européen indéchiffrable et aux cheveux noirs plus longs que la liste des nominations aux Oscars non méritées de Meryl Streep « joue » une scène de Tenneesee Williams devant Greg Sestero. La performance est déjà absurde en soi ; la compléter par une musique orchestrale aussi tôt dans le film n’a pas l’effet escompté. Plutôt que de nous faire rentrer dedans, cela crée une distance. Ce n’est qu’un exemple, mais il est emblématique des choix de mise en scène douteux qui font de ce film une déception certaine à nos yeux. Difficile de dire si Franco est moqueur, donc ou plein d’humanité, ou les deux. Une image vaut mille mots, on se contentera donc de celle des Golden Globes, où James Franco a gentiment dégagé Wiseau de la scène pour l’empêcher de s’exprimer.

Faut-il avoir vu The Room pour apprécier The Disaster Artist à sa juste valeur ?

Cette question revient souvent depuis quelques mois. Le film de Tommy Wiseau raconte comment un type voit sa future femme coucher avec son meilleur amie. C’est une tragédie humaine qui confronte les notions d’amitié et d’amour à la solitude.. Enfin. C’est à cela que cela doit ressembler dans sa tête. Le tout est une petite catastrophe à l’écriture totalement improbable, à la réalisation infectée par tout un tas de paramètres (les retards hallucinants du réalisateur, son incapacité à apprendre des répliques, son intention de filmer en digital et en pellicule en même temps, la démission d’une partie de l’équipe en cours de route, l’absence de producteur délégué…), et bien sûr par la personnalité de son créateur. The Room est, indéniablement, un très mauvais film. C’est d’ailleurs en cela qu’il est devenu populaire. Nous étions à l’événement massif de Panic ! Cinéma au Grand Rex, en compagnie de milliers d’autres personnes… Il est vrai qu’il est plaisant de rigoler de la déco insensée de l’appartement (des cadres photos avec des cuillères), des personnages qui ne ferment jamais la porte, ou des nombreux inserts inutiles de la ville de San Francisco. Il est en revanche beaucoup moins plaisant d’entendre les « salopes » et autres quolibets que reçoit dans la face l’actrice principale pour son personnage de femme adultère. Plutôt de que d’attaquer ce personnage féminin à peu près aussi bien construit que les châteaux de sable de ton neveu Mathéo, il faudrait se moquer de l’écriture extrêmement misogyne du scénario.

Tournage de la scène la plus misogyne du film, durant laquelle Tommy réagit à une histoire de femme battue et hospitalisée par « Haha ! Quelle folle histoire Mark ! »

D’ailleurs, se moquer n’est pas vraiment très plaisant, quand on y pense. Parce que la seule véritable erreur de The Room, c’est d’avoir réussi à nous faire croire qu’il ne s’agit pas d’un film amateur. Son scénario improbable, ses répliques qui semblent toutes sortir de la bouche de Tommy Wiseau directement, ses éclairages approximatifs, ses écrans verts plutôt dégueu… Cela n’a rien d’exceptionnel. Des bouses comme ça, j’en ai vu des dizaines. Certaines avaient même été réalisé par… moi-même. Même la moquerie a ses limites, et quand celles-ci sont atteintes, la fascination s’installe : nous voulons comprendre cet alien absolu qu’est Tommy Wiseau.

Et c’est exactement ce que le livre The Disaster Artist propose : le portrait cru mais tendre d’un original. Une histoire d’amitié unique, belle et complexe. Greg Sestero ne cesse de scruter les folies de Tommy, va même jusqu’à dévoiler ses origines (ce que le film refuse de faire) avec une certaine pudeur. C’est un livre qui transpire la cinéphilie ; dans lequel la figure de James Dean est omniprésente, tout comme les œuvres Sunset Boulevard et The Talented Mr Ripley. Nous vous conseillons donc de lire le livre dans sa très bonne traduction française par l’équipe de Panic ! Cinéma, ou encore d’écouter la version audio lue par Greg Sestero. Peut-être cela vous fera-t-il réfléchir à vos amis, à votre rapport au cinéma. A côté de cela, le film de James Franco dépasse difficilement le stade de divertissement moqueur. Même s’il ne faut lui retirer son rôle dans la suite des aventures de Wiseau et Sestero : au visionnage d’une première version du film de Franco, Greg Sestero a été inspiré. Il a écrit un film pour lui  Wiseau, pour célébrer leur amitié : Best F(r)iends.

La tronche de Franco quand il lira l’article de Cinématraque sur son film

Un dernier mot justement sur James Franco. Ou plutôt plusieurs, qui me permettent à titre personnel de vous déconseiller le film The Disaster Artist :

1. Il est personnellement accusé de harcèlement, mais ça n’est pas un secret.

2. Le premier scénariste du film, ancien élève de Franco, n’a été payé que 5 000 dollars pour vendre les droits de son script, sur la promesse qu’un film qu’il prépare serait financé à hauteur de 5 millions par la boite de Franco. Il sera finalement financé à hauteur de 50 000 dollars, ce qui s’appelle une arnaque. Qui plus est, ayant vendu ses droits, le scénariste en question n’est pas parmi les nommés à l’Oscar du meilleur scénario adapté. Pourtant la scène finale du film serait mot pour mot celle de son script… De quoi avoir bien les boules.

3. Lorsque le personnage de Tommy réagit à une histoire de femme battue par « haha ! What a story Mark ! », deux membres de l’équipe menacent de lui péter la gueule. Ce n’est pas drôle, une histoire de femme battue. Ce sont deux hommes, dans le film. Dans le livre, et probablement dans la vraie vie, il s’agissait d’une femme. Pourquoi la remplacer par deux hommes ? Sûrement pour améliorer la représentation en difficulté des hommes blancs au cinéma.

4. A l’inverse, la copine de Greg Sestero est bien plus importante dans le film que dans le livre. Elle est même interprétée par une excellente actrice, Allison Brie, qui est aussi la femme de Dave Franco. Pourtant, c’est un personnage-fonction : elle n’a que des phrases de dialogue qui servent à développer le personnage de Greg. Pourquoi supprimer la femme du point suivant et développer celle-ci à la place ? The Room a de gros problèmes de misogynie. Il faut croire que James Franco a voulu y rendre hommage. Ou alors, c’est juste que le film est… Sexiste ? Serait-ce possible.

Malgré tout cela, The Disaster Artist reçoit un accueil critique et public plutôt chaleureux. Nous espérons donc que nous avons tort sur toute la ligne, et que les autres ont raison…

The Disaster Artist, un film de James Franco. Avec James Franco, Dave Franco, Seth Rogen, Allison Brie… En salles le 7 mars 2018.

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