L’année dernière Grave de Julia Ducournau offrait à tout fan de gore francophone l’espoir que la malédiction prenait fin. Depuis les années 70 et la popularité chez les amateurs de fantastique de revues comme l’Écran Fantastique ou plus sûrement Mad Movies, il y a un désir de voir s’installer dans l’hexagone une horreur à la française. Pour tout un tas de raison, la sauce n’a jamais pris. Les plus geeks ont crié à la théorie du complot et que « le système » refuse le cinéma de genre, trop impur face au cinéma du milieu, le cinéma bobo parisien bien trop subventionné. La réalité a toujours été plus complexe. Si Grave, en plus de son soutien critique, a réussi a avoir un succès d’estime public, il ne faut pas le cacher : l’horreur hexagonale n’est pas viable économiquement. Il y a sans doute chez le spectateur de la métropole un a priori qui le conduirait à croire que l’hémoglobine est forcément moins bonne quand elle est francophone.
À vrai dire, régulièrement c’est le cas : Sheitan, La Traque, Martyrs, La Horde, les films horrifiques français ne manquent pas, mais aucun ne peut rivaliser avec le savoir-faire anglo-saxon, ibérique, nippon ou coréen (pour citer les patries spécialistes de l’horreur : bizarrement, beaucoup d’entre eux ont connu des dictatures…). Mal foutus, réalisés à la truelle, scénarisés avec les pieds, dialogués comme dans TPMP, portés par une direction d’acteurs approximative et des FX de séries Z… les films d’horreur à la française ne manquent souvent pas de maux. Dans cet océan de médiocrité surnagent deux artistes : la comédienne belge Marina de Van (Dans ma Peau annonçait Grave, puis le sous estimé Dark Touch) et surtout Alexandre Aja qui est arrivé à être le seul réalisateur français à réaliser un très bon survival en France (Haute Tension) et assurer une carrière américaine. Ces deux metteurs en scène de talent n’ont pas réussi à percer, parce que concrètement, forcément, le cinéma d’horreur, en France ça ne marche pas. Quand l’une a renoncé, pour un temps, à la réalisation, l’autre a dû s’exiler avec un certain succès aux USA. Julia Ducournau a-t-elle brisé la malédiction ?
C’est toute la question qui se pose avec La Nuit a dévoré le monde de Dominique Rocher. Sans être aussi maîtrisé que Grave, ou les films d’Aja et Marina de Van, ce nouveau film d’horreur à la française a le mérite de ne pas avoir les maux des métrages cités plus haut. Créateur de quelques courts de genre, Dominique Rocher a décidé de se la jouer modeste et de faire le choix d’une certaine finesse autant l’utilisation parcimonieuse des dialogues que dans la direction d’acteur. À l’annonce de l’adaptation du roman de Martin Page (dont, ne le cachons pas plus longtemps, l’auteur de l’article est très proche), le casting du film a beaucoup surpris. Anders Danielsen Lie, Golshifteh Farahani et Denis Lavant : trois comédiens qui sont bien plus connus pour leur travail dans le cinéma européen d’auteur, plutôt que dans le cinéma d’exploitation où l’on classe souvent le gore.
Un choix payant au vu du résultat. Certes, Denis Lavant est relégué au second plan, mais son médecin zombie rappelle dans un geste touchant celui de Bud (Sherman Howard) dans Le Jour des Morts Vivants de George Romero. Dans ce véritable survival à la française, c’est évidemment Anders Danielsen Lie qui tire le mieux son épingle du jeu. L’acteur norvégien se glisse dans la peau de Sam, alter ego assumé de l’écrivain dans le roman, de façon déconcertante. Si en adaptant l’œuvre originale le réalisateur a choisi de s’écarter, à raison du matériel de départ (le nom même du héros n’est pas le même), il a gardé la veine misanthrope et l’humour qui faisait le sel du livre. On peut regretter le traitement un peu paresseux réservé au second rôle féminin interprété par Golshiteh Farahni, mais peut-être faut-il y voir un niveau supérieur de misanthropie ?
un mélange entre Seul au Monde et Die Hard
Car, c’est bien à un huis clos apocalyptique auquel nous invite le cinéaste. L’intelligence de ce dernier est d’avoir adapté un roman horrifique qui se prêtait au maigre budget que pouvait prétendre un tel long métrage. Sur les trois acteurs, seul Anders Danielsen Lie est de tous les plans. La Nuit a dévoré le monde est un mélange entre Seul au Monde et Die Hard, sans jamais que ces influences soient handicapante, au contraire. Dominique Rocher ne cherche jamais à vouloir faire un film comme John McTiernan, ni à tomber dans la facilité de composer des plans à la George Romero où de cadrer les couloirs du bâtiment, où toute l’histoire se déroule, comme le ferait John Carpenter. Non, le souci pour lui est de retranscrire à l’image toute l’originalité du roman d’origine, qui faisait le grand écart entre Boris Vian et Stephen King.
Chose surprenante, Dominique Rocher semble plus réfléchir à comment gérer l’espace d’un immeuble haussmannien qu’à répéter bêtement ses influences cinématographiques. Cette modestie dans la forme rappelle forcément un autre film qui alliait avec un certain génie l’horreur et l’humour : Shawn of the Dead. Comme le film d’Edgar Wright, La Nuit a dévoré le monde est après tout un film avec des zombies, plutôt qu’un film de zombies. En plus d’apporter des gags macabres, absents du roman, purement visuels, l’auteur cherche à composer ses plans pour rendre à l’image ce qu’il a pu puiser dans le livre. Comment retranscrire la zombification du monde, bien avant que le moindre zombie pointe son nez ? Comment montrer l’opportunisme carnassier d’un chat ? À toutes ces questions, le réalisateur trouve avec un talent certain une idée de cinéma. Soyons francs, on n’attendait pas grand-chose de cette adaptation, c’est donc une heureuse surprise.
La Nuit a dévoré le monde, de Dominique Rocher. Anders Danielsen Lie, Golshifteh Farahani et Denis Lavant. Sortie le 7 mars 2018.
Gaël, tu le sais je t’adore. Mais quand même tu es gonflé, en affirmant que beaucoup des pays producteurs de films gore de qualité ont connu des dictatures: il me semble que le principal pourvoyeur de ce genre, les USA, n’a – pour l’heure – pas connu ce régime. La Grande-Bretagne non plus. Il est évident que c’est un genre le plus souvent politique, mais de là à sous-entendre qu’il a besoin d’une dictature pour s’épanouir… c’est limite.
Ceci dit, je reprends me lecture de ton article, qui a l’air super 😉