Après Dans ma peau et Ne te retourne pas, Marina de Van signe avec Dark Touch un conte horrifique touchant autour des sévices de l’enfance. Abordant une nouvelle fois le thème de l’identité physique et du rapport à l’autre, la réalisatrice a été récompensée par la Mention spéciale du Jury au Festival européen du Film fantastique de Strasbourg. Tout en évoquant comment le genre lui a permis de servir le parcours émotionnel de sa jeune héroïne, la cinéaste est aussi revenue sur l’impossibilité de monter son film en France.
Dans vos précédents longs métrages, vous ne faisiez qu’effleurer le genre fantastique. Qu’est-ce qui vous a poussé à vouloir réaliser un film d’horreur ?
J’ai pensé que le genre pouvait m’aider à retranscrire avec justesse les peurs et les douleurs des enfants abusés.
Comment vous est venue l’idée du scénario ?
J’avais envie de faire un film sur la maltraitance. La télékinésie me permettait de mettre en scène une enfant qui n’a pas conscience de ses propres émotions. Ses angoisses agissent à travers les objets. Au début du film, elle croit vivre dans une maison hantée puis accepte progressivement sa propre colère et sa douleur.
La télékinésie fait aussi penser à Carrie…
C’est un film que j’aime beaucoup, mais je ne travaille pas en me référant aux longs métrages des autres. Même si je suis certainement influencée par les œuvres de mes confrères, je réfléchis à mes histoires toute seule.
Pourquoi avoir choisi le titre de Dark Touch ?
Le terme « touch » fait référence au contact. Le personnage de Neve est une petite fille pour qui la communication avec autrui est devenue impossible.
Tout comme dans Dans ma peau et Ne te retourne pas, le film parle donc du rapport à soi et aux autres…
L’intrigue raconte un échec complet à se connecter au monde extérieur. Les enfants maltraités n’ont en général plus de repères. Tout geste, toute parole affectueuse sont perçus comme une agression, une atteinte à leur intégrité corporelle. D’une certaine manière, ils sont atteints d’un handicap qu’ils ne parviennent pas à surmonter.
Dans une scène du film, le personnage de Neve parodie le rôle de sa mère abusive en lui faisant dire qu’aujourd’hui tout le monde a son mot à dire dans l’instruction des enfants. Vous aviez déjà abordé le thème de l’éducation dans votre premier court métrage, Bien sous tous rapports. Pensez-vous que la pression extérieure pousse à la déviance certains parents qui ne se sentiraient pas à la hauteur, ou qui n’auraient plus de repères ?
Je n’ai jamais pensé à ça, même si l’idée est intéressante. Selon moi, les raisons qui poussent certains parents à abuser sexuellement de leurs enfants sont plus profondes. Le désir ne vient pas de l’impuissance à éduquer. Ce serait une thèse très déculpabilisante.
La jeune Missy Keating qui incarne Neve est formidable. Comment l’avez choisie ?
De la manière la plus traditionnelle qui soit. J’avais organisé un casting avec des essais, et Missy m’avait tout de suite tapé dans l’œil. Elle n’avait aucune expérience de jeu. J’ai dû beaucoup la diriger et la préparer en amont. Au bout du compte, elle est très bien.
Le rôle était-il émotionnellement difficile pour elle ?
Non, je ne crois pas.
Pourquoi avoir choisi de tourner le film en Irlande ?
Parce que je n’avais pas le droit de le faire en France. La DDASS m’avait interdit de diriger des enfants. J’ai été obligée de délocaliser le tournage. Les accords de production me permettaient d’avoir des financements si je réalisais Dark Touch en Irlande et en Suède.
Pourquoi cette réticence de la DDASS ?bv
L’organisme pensait qu’une fois devenus adultes, les enfants seraient traumatisés à la vision du film. Ce qui est ridicule. Il y a peu de risques d’être choqué dix ans après. Les enfants adorent jouer. Et puis, du faux sang en sucre, c’est rigolo.
Etait-ce difficile de tourner en langue anglaise ?
Non c’était très agréable. J’ai beaucoup aimé. Je réitérerais volontiers l’expérience.
La réalisation de Dark Touch vous a-t-elle donné envie de poursuivre dans la voie fantastico-horrifique ?
Non, j’ai décidé de renoncer, parce que tout le monde me jette mes projets à la figure. Aucun financier n’est prêt à me soutenir dans ce registre. Aujourd’hui, je me consacre à des projets complètement différents. En ce moment, je prépare une adaptation de La Pitié dangereuse, le roman de Stefan Zweig.