Borg/McEnroe : (f)ace to (f)ace

Outre le dernier opus de Jonathan Dayton et de Valerie Faris, Battle of the sexes, voici en cette fin d’année un autre précisé tennistique à retrouver en salles obscures, ou plutôt deux biopics pour le prix d’un à travers le récit du fameux duel Björn Borg / John McEnroe.

Les opposés s’attirent, dit-on. Il ne pouvait y avoir en effet d’association plus contradictoire mais néanmoins complémentaire que le flegme scandinave et l’irrévérence US. Discipline spartiate vs côté punk. Pouvoir de la méditation contre habileté de gaucher. Maître zen contre Billy the Kid ? Pas si sûr. Le vilain petit canard n’est pas forcément celui qu’on croit…

Les deux finalistes se sont renvoyé la balle à Wimbledon en 1980, et tout le film nous amène à ce moment, préparant le terrain avec soin côté psychologie (pour ne pas dire psychanalytique, en ce sens pensons au jubilatoire traité-blague concocté par Theodor Saretsky sur les soi-disant écrits secrets de Freud sur le tennis). Entre flashbacks-passing shots, ace-ascension fulgurante, vie privée et doutes existentiels-let, il y va de l’enfance de Borg, de ses T.O.C. et des affres de la vie mondaine de McEnroe. Se dépasser sur le court comme l’expression d’une même colère, canalisée d’un côté quand celle-ci survient sous forme d’explosion immédiate de l’autre. Une rage semblable et sublimée via l’objet raquette, entre vérification maladive des tensions de cordage et malmenage autodestructeur en direct. De la routine rassurante à la posture prévisible de rockstar, se conformer à l’image attendue ou en inventer d’autres, juste pour le plaisir de faire voler en éclats les codes d’un sport de riches.

Les légendaires coups de sang de « Superbrat ».

Back to the late 70’s. New York City et ambiance club, Blondie et relents de la Factory, strass et champagne à gogo. Les deux géants mènent malgré eux un train de vie d’enfer et font figure de jeunes gens tout ce qu’il y a de plus moderne, l’un version disco, l’autre définitivement rebelle. Le teigneux Shia LaBeouf excelle à jouer McEnroe, inoubliable bad boy qui semait la terreur sur les courts et faisait le show malgré lui. Volontiers antipathique et manipulateur avec les médias, il n’en restait pas moins sensible, fin stratège et observateur, sachant tirer des leçons du jeu de son modèle et désormais principal adversaire. Saluons la performance d’acteur, car non seulement les deux protagonistes ont dû apprendre l’art des services et des montées au filet, mais il a fallu que leur jeu soit au diapason pour que cette rencontre ait l’air un minimum vraisemblable. Cependant, le tennis semble par moments relégué au second plan et ne constituer qu’un prétexte à présenter l’énigmatique champion Borg, dont on sait peu de choses finalement. Une partition délicate pour Sverrir Gudnason, effrayé qu’il était à l’idée d’incarner son compatriote suédois (et cela peut se comprendre) ; un rôle sur-mesure exécuté avec brio qu’il aurait eu tort de refuser.

Une mise à nu littérale et pleine de justesse

L’ensemble de ce long-métrage conçu par le documentariste Janus Metz Pederson peut paraître un poil trop froid et policé en surface (déformation professionnelle certainement). Néanmoins, sous le vernis chic subsiste une interrogation pas totalement vaine quant au statut d’icône pop, de légende et de superstar à l’orée des années 1980 et de l’ère MTV. Accéder à ce titre, oui mais à quel prix ? Quand le mythe de soi côtoie le mythe du sport, entre autodépassement et sacrifice, hygiène de vie stricte et anti-culte du corps, plus qu’un simple affrontement de chaque côté du filet, c’est un peu comme si l’on assistait à un passage de témoin entre deux époques et deux attitudes, relais troublant qui aura raison de la pudeur des deux. Une mise à nu littérale et pleine de justesse, à la fois mue émouvante d’un homme et abandon de soi ; encaisser les pressions diverses et continuer à se mouvoir coûte que coûte. Des deux côtés, jouer le jeu de la forteresse à la tactique impénétrable, et l’obligation d’être à la hauteur de ce match que l’on promet impitoyable.

« Je suis comme tout le monde, je ne suis pas une machine. »

Si face à « Ice Borg », « Big Mac » a bel et bien perdu ce fameux Wimbledon le 5 juillet 1980 (et ce, avec un comportement on ne peut plus fairplay lors de cette finale, une grande première pour lui), ces cinq sets haletants aux jeux décisifs interminables et forcément survolés le temps d’une fiction (durée réelle : quatre heures) suffisent à ressusciter le tennis d’une époque révolue, à la fois classe, impeccable, délicieusement survolté, et surtout, terriblement surprenant. L’humain y avait encore le dernier mot, quitte à se saboter en cours de carrière pour se consacrer à sa vie de famille (la retraite anticipée de Björn Borg). Car là où certains ne veulent y voir que la joie des victoires enchaînées, d’autres subissent avec peine l’obligation de rester au sommet. Douleur de gagner, être à la fois winner et outsider, car ainsi va la vie.

Deux champions qui n’en restent pas moins des jeunes gens de leur époque.

En toute logique, McEnroe détrôna le n°1 mondial peu de temps après cette rencontre (que l’on veut désormais historique), et d’en faire son meilleur pote dans la foulée. Une philosophie de vie pas si éloignée finalement ; le récit d’une admiration réciproque, en somme. A quand l’adaptation grand écran du duel Andre Agassi / Jim Courier dans ce cas (cf. la mémorable finale de Roland-Garros du 9 juin 1991) ? Après tout, là aussi il y aurait matière, mais à chacun ses souvenirs. Oui, au fond, peu importe que ceux-ci finissent par alimenter cette frénétique machine à biopics ; nous aurons secrètement notre propre version des faits.

Borg/McEnroe, de Janus Metz Pederson. Avec Sverrir Gudnason, Shia LaBeouf, Stellan Skarsgård, Tuva Novotny, Ian Blackman. Sortie en salles le 8 novembre.

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