Vingt-cinq ans. C’est le temps qu’il a fallu à Mark Frost et David Lynch pour retourner à Twin Peaks. Un quart de siècle. La dernière fois que les aventures de l’agent Cooper dans la ville qui a rendu le mariage obsolète tant les relations extra-conjugales étaient la norme passaient à la télévision, c’était en 1992. Donc, avant Internet, les téléphones portables, et la formation puis séparation des N-Sync. Cela peut paraître évident, mais laissez donc ça infuser un instant. La suite d’une série qui s’était terminée sur un cliffhanger gigantesque (l’agent Cooper était resté enfermé dans la Black Lodge, tandis que l’esprit maléfique s’en était échappé en dérobant l’apparence de Cooper) arrive VINGT CINQ ANS après !
Les fans ont très vite remarqué que le plus hallucinant à ce sujet, c’est que tout cela semblait avoir été prévu par Lynch et Frost : la fameuse réplique « I will see you in 25 years » du dernier épisode de la saison 2 semble indiquer que tout avait été réfléchi et prévu à l’avance. Ce qui plaît énormément aux téléspectateurs, parce que cela suppose un monde dans lequel la création artistique populaire n’est pas influencée par l’économie capitaliste. La vérité est bien plus complexe, et si la date choisie pour le retour n’est évidemment pas un hasard, il ne faut pas croire que cette suite a toujours été prévue ainsi. Certains se souviennent que Lynch avait prévu une trilogie au cinéma à la suite de son film tcharbé sur Laura Palmer… Heureusement, c’est à la télévision que tous (ou presque) les personnages reviennent, pour 18 épisodes et une fin apparemment « définitive ». Mais qu’on se le dise : n’attendez pas trop de réponses à vos mystères, ça n’est pas le genre de la maison.
(Aparté : les fans n’ont pas remarqué qu’ils ont tort, et que le plus hallucinant dans l’histoire, c’est que les Simpsons existaient déjà quand Twin Peaks a commencé, et qu’ils sont toujours là aujourd’hui.)
- Twin Peaks… saison 3 ?
La première erreur à éviter, ce serait de trop penser la série comme une suite pure et dure du monument de pop culture qu’ont été les deux premières saisons. Difficile par exemple de rassembler un public aussi longtemps après la fin de la saison 2, et de leur demander de se souvenir de toutes les centaines de milliers d’intrigues rocambolesques qui ont fait la série. C’est pourquoi cette nouvelle saison commence par un rappel de la seule chose qui importe : Cooper dans la Black Lodge. Pas d’inquiétude, les autres finissent par revenir aussi, notamment les officiers de police de Twin Peaks menés par Hawk qui sont toujours aussi drôles, touchants et paumés… Mais le message est clair. C’est une nouvelle histoire, qui implique nombre de nouveaux personnages. Faîtes entrer le casting improbable qui vient compléter la liste déjà bien indigeste : vous voulez voir Naomi Watts ? Michael Cera ? Laura Dern, et tant d’autres ? Pas de soucis, Twin Peaks est là pour vous ! Pour être précis : d’après Wikipedia on atteint la modique somme de DEUX CENT DIX SEPT PERSONNAGES EXCUSEZ NOUS DU PEU, ce qui permet tranquillement de rappeler que David Lynch est allergique à la demi-mesure.
En terme de scénario, le plus choquant, évidemment, est cette révélation : l’agent Cooper a passé tout ce temps enfermé dans la Black Lodge, tandis que son double maléfique profite de sa nouvelle coupe de cheveux maléfique pour faire tout plein de trucs de maléfiques. Quand le vrai Cooper finit par en sortir, et se retrouver dans le corps d’un sosie nommé Dougie Jones dans le Nevada, il est clair qu’il n’a pas toute sa tête. Va-t-il retrouver sa voie et par la même occasion son double maléfique ? En tout cas, difficile de lui en vouloir pour son état mental. Vu les trucs bien frappés que Lynch nous montre durant quelques épisodes, nul doute que vingt-cinq ans dans cet état, ça doit griller les neurones façon barbecue au dessus d’un nid de coucou.
Et puis, cette nouvelle saison dépasse encore le cadre des précédentes, puisque l’histoire et le monde sont bien plus vastes qu’avant. On oscille très largement entre le Nevada, le Dakota du Sud et les quartiers du FBI dans les premiers épisodes ; ce qui veut dire que oui, absolument, le personnage de Gordon Cole interprété par David Lynch est de retour, et oui, absolument, il reste la meilleure partie de tout cet univers. En tout cas, on comprend assez rapidement que l’éclatement de l’histoire vise un recadrage, un retour à la fois symbolique et narratif à Twin Peaks, qui prendra probablement forme à la fin de la première partie, donc à l’épisode 8. Tout cela semble d’ailleurs annoncé par l’apparition du personnage totalement antipathique de Michael Cera.
La première vraie saison de Twin Peaks par David Lynch
C’est le point qui fâche, généralement. Ce n’est pas un secret, le nom et la popularité écrasante de Lynch ont tendance à… ben… écraser son partenaire créatif Mark Frost. Pourtant ce dernier est l’architecte principal des saisons 1 et 2. Lynch a été énormément impliqué dans le pilote, puis est revenu pour réaliser des épisodes et proposer des idées visuelles sans queue ni tête, parce qu’il en avait envie. Ce sont ces idées visuelles qui ont fait le côté wtf de la série, mais ce serait cruel et mensonger d’ignorer que cette série était avant tout et en grande partie un soap opera. Toutes ces histoires de coucheries, et ces frères morts qui ne le sont pas, ces comas qui vont et viennent, ces femmes de quarante ans qui se retrouvent avec le cerveau d’une fille de 18 ans… c’est du soap !
Cette fois, la série est bien plus sous le contrôle de Lynch, et ça se sent. Exit le soap, exit la musique kitschoune – snif, elle est bien cette musique – qui enveloppe les mystères de la ville de Laura Palmer, exit les histoires d’amours totalement insensées. On garde les mystères, les enquêtes policières aux portes du surnaturel, l’humour totalement décalé (big up à toute la scène de Cooper au Casino), et bien sûr l’horreur lynchéenne, celle du vertige et des sécrétions. On est bien dans du David Lynch, qui n’a aucune intention de s’épancher dans la nostalgie. Et si cela arrive, par miracle, à un moment ou deux que je ne révélerai pas pour ne pas spoiler, ce sera fait avec une douceur admirable.
Cependant, c’est un peu décevant de voir cette partie de l’ADN de la série disparaître ici. C’était cet équilibre difficilement explicable entre romances, mystères et humour qui faisait très largement la qualité de la série… Ce qui confirme encore une fois qu’il faut bien penser cette saison comme quelque chose de nouveau.
Quel aspect novateur en 2017 ?
Pourtant, cette disparition du soap ne devrait pas surprendre. Nous ne sommes plus en 1992, et le monde de la télévision a changé. A l’époque, Twin Peaks a su tordre le cou des codes narratifs et des motifs connus pour transformer toute l’industrie, une décennie avant que Lost le fasse à son tour. En 2017, la télévision connaît une liberté sans égale, ce qui par essence amoindrit les prises de risque : elles sont partout ! La question est donc la suivante : est-il possible que cette nouvelle saison de Twin Peaks se démarque autant que les précédentes ? Pour l’instant, il semblerait que non. C’est déjà un véritable tour de force d’avoir réussi à s’être aussi bien intégré au paysage de la télévision actuelle, en termes de structure narrative, de format et même de visuel. D’autres ont essayé (X-Files, Heroes) et se sont bien viandées. Des oeuvres comme American Gods ou The Leftovers doivent leur existence à Twin Peaks ; maintenant que la maman des séries est de retour, qu’a-t-elle de plus à apporter ? La patte Lynch reste unique, il y a donc de cela. Mais pour une vraie réponse à cette question, on va se permettre ce que David Lynch ne sait pas faire et rester mesuré : nous attendrons de voir la fin. On en reparle donc… en septembre !
C’est de la merde cette saison 3, il n’y a pas besoin de se la tartiner jusqu’à septembre.