Jeannette : Pucelle que vous croyez

Réinventé par le succès de l’incroyable P’tit Quinquin et celui plus modeste du très inégal Ma loute, Bruno Dumont poursuit sa métamorphose en néo-chien fou de la comédie française avec son projet sans aucun doute le plus radical : adapter un texte de Charles Péguy sur l’enfance de Jeanne d’Arc. Et sous forme de comédie musicale qui plus est. Un seul mot nous est venu à l’esprit quand le projet fut révélé : Soit (et DROGUE aussi).

Puis est tombé le premier trailer de Jeannette, peu après son annonce de la sélection de la Quinzaine des Réalisateurs, qui nous a plongé encore un peu plus dans l’expectative. Dans quelle aventure le cinéaste nordiste allait-il encore nous entraîner ? Aussi solaire que jusqu’au-boutiste, le projet était voué à être par nature insaisissable dans son ensemble, ce qui nous a laissé le choix entre deux possibilités. Soit tenter la séance de 8h45 au saut du lit, pour décuver tranquille de la fête cannoise cocaïnée de la veille, soit y aller la tête reposée, à celle de 17h45, à l’écoute des premiers avis des lève-tôts.

Étant donné qu’on est Cinématraque et qu’on est donc pas invités dans les soirées, le choix s’est vite imposé.

C’est donc en fin d’après-midi que Jeannette m’est apparue. Autant le dire tout de suite : résumer l’intrigue de cet objet cinématographique n’a aucun sens, principalement parce qu’on passe les trois quarts du film à se demander justement ce qui est en train de se passer à l’écran. Capharnaüm à ciel ouvert de 105 minutes, Jeannette entend compenser l’extrême sécheresse de son dispositif (deux/trois décors, pas plus ; une alternance de longs dialogues sur la foi et les Anglais et de numéros musicaux désaccordés) par une escalade non-sensique à chaque plan.

Jeanne Dab au pays des doux-dingues

Le projet de Dumont, lui, se révèle tout de même assez rapidement : réinvestir toute la liturgie chrétienne et son étouffant cérémonial à l’aune de la culture populaire, voire païenne. Les séquences entières sont conçues comme de longues messes profanes, où les sermons s’éternisent comme les questionnements sur la foi, où les génuflexions deviennent des headbangs et où les chœurs de cantiques laissent la place à des riffs de death metal (composés par un certain Igorrr).

Il y a toutes les folies inimaginables dans Jeannette : de la tecktonik, des chorés à la Pulp Fiction ou à la Galaswinda, UN PUTAIN DE PUTAIN DE DAB BORDEL. Et surtout cet incroyable comédien encore sorti du chapeau du réalisateur comme par magie : Nicolas Leclaire, qui incarne l’oncle de Jeanne, et rappeur approximatif de génie. Certaines propositions de Dumont provoquent une hilarité malgré elles, devant l’outrance de leur décalage, comme lorsqu’on se demande honnêtement ce qu’est ce truc qu’on est en train de voir.

Reconnaissons cependant que Dumont nous offre avec ce Jeannette d’autres moments que ceux de totale hébétude. Son sens de la composition des plans reste intact, bien aidé par le travail de son chef opérateur Guillaume Deffontaines, composant des paysages de la Côte d’Opale (le film est tourné à Wissant, et non dans les Vosges de Domrémy) à l’image de tableaux de la Renaissance flamande. Son art du contre-pied formel, des prières filmées en contre-plongée (sublime transgression du rituel), des jeux d’échelle et de chorégraphies (la séquence des nonnes, bluffante de bout en bout) reste intact et offre quelques images de cinéma mémorables. Sans parler de l’usine à GIFs potentielle que représentent certaines séquences musicales…

Sauf que Jeannette, ce n’est pas que ça. C’est aussi d’interminables litanies de conversations assommantes sur la foi, des bêlements de moutons un peu lourdingues, des numéros chantés faux (le film est enregistré totalement en prise de son directe, y compris les numéros musicaux), des raps qui ressemblent à du JuL, de la tecktonik, de la danse du robot, des longueurs et quelques facepalms en perspective. Reste à savoir comment faire la balance pour y trouver son compte. Jeannette n’a à aucun moment la cohérence de P’tit Quinquin, et beaucoup (beaucoup beaucoup) resteront sur le carreau sans qu’on le leur reproche face à cette proposition de cinéma quasi-kamikaze. Ce film est presque trop beau pour être d’un si extrême mauvais goût. Peut-être est-ce cette ambiguïté qui fait qu’on ne s’emballe pas. Car la beauté blasphématoire du truc, elle, valait la beauté du geste.

Jeannette, l’enfance de Jeanne d’Arc de Bruno Dumont avec Lise Leplat, Jeanne Voisin…, 1h45

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