In Arras : La cinéphilie Ch’ti

S’il y a pas mal de ch’tis et de picards à Cinématraque, les fondations sont parisiennes. C’est donc le choc des cultures lorsqu’elles se retrouvent à Arras. La bière ici est à 11 degrés minimum et il y a plus de brasseries que de Velib. La légende qui dit que dans le nord il fait froid est vraie, surtout à l’approche de l’hiver. Il faudra revenir pour le concert de Radiohead pour vérifier une autre légende : l’été, il fait plus chaud. On demande à voir. Ceci dit, la ville est très jolie et question architecture ça va chercher, chose surprenante, ses bases en Espagne. Du coup que l’un des grands thèmes du 17e Arras Film Festival soit la guerre d’Espagne n’est pas un hasard. Et ça a commencé très fort avec le très beau et anxiogène Le Labyrinthe de Pan, que les plus jeunes cinéphiles connaissent bien puisqu’il s’agit d’un des plus grands films du réalisateur mexicain Guillermo del Toro. Viendront ces prochains jours, Balada Triste de l’anarchiste espagnol Alex de la Iglesia, le classique Mourir à Madrid ou l’un des derniers soubresauts du cinéma Loachien : Land and Freedom.

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Sara Serraiocco, La Ragazza del Mondo

En dehors de cette ambition d’ancrer la cinéphilie engagée dans l’histoire, Arras Film Festival offre une compétition européenne, pas mal d’avant-premières, un mini festival pour enfants et une sélection de découvertes des nouveaux cinémas européens. Parmi ceux-là on doit bien l’avouer on a déjà nos chouchous : Noces et La Ragazza del Mondo. Deux récits d’émancipations, celles de jeunes filles cherchant à échapper aux poids des traditions familiales. Il est question dans les deux cas de religion, mais au lieu de réaliser des pamphlets athées, les deux cinéastes choisissent d’opter pour un regard sociologique, anthropologique, ne décrivant qu’un aspect traditionaliste ou tribal de la religion. Qu’elles soient italienne ou pakistanaise, ces familles respectent plus de codes de conduites leur permettant de se créer une identité dans un monde qui ne cherche pas à les comprendre.

Si au lieu de regarder des reportages, ou d’écouter les hommes et femmes politiques on offrait plus de chance à des films comme Noces et La Ragazza del Mondo. Cela ne serait qu’une goutte d’eau, mais ça serait déjà pas mal.

Réduire les violences faites aux femmes dans ces milieux à la question religieuse serait assez réducteur. Si l’on s’attend à voir une famille pakistanaise très pieuse et interprétant le Coran de façon traditionnelle pakistanaise, on se retrouve un peu plus surpris d’être introduit au sein de la communauté romaine des Témoins de Jéhovah. Là est tout l’intérêt de la sélection de ces deux films projetés le même jour. Nous interroger sur l’image que l’on a de ces communautés, dites religieuses, mais respectant des rites plus tribaux, au sens anthropologique, que métaphysiques. L’une, par exemple est perçue comme la religion la plus misogyne au monde, l’autre comme une secte d’imbéciles heureux inoffensifs dont il est agréable de se moquer. Tout le problème est que les choses sont bien plus compliquées que ça et il faut reconnaître que ces deux films arrivent à nous introduire avec finesse dans ces mondes étrangers et à nous donner des pistes pour mieux les comprendre. Comprendre, ce n’est pas excuser contrairement aux imbéciles qui cherchent à imposer leur vision autoritaire du monde. C’est plutôt (re)commencer à trouver un moyen d’une meilleure intégration des différentes cultures, de les faire interagir, les faire évoluer plutôt que de les rejeter. C’est aussi constater que les replis radicaux s’expliquent aussi par une situation géopolitique et sociopolitique catastrophique dont il faut analyser les raisons. Si, au lieu de regarder des reportages, ou d’écouter les hommes et femmes politiques on offrait plus de chance à des films comme Noces et La Ragazza del Mondo, cela ne serait qu’une goutte d’eau, mais ça serait déjà pas mal.

Car en nous présentant ces différents cultes, aux prises avec une vision plus fataliste (Noces) ou nihiliste et criminelle (La Ragazza del Mondo) les deux cinéastes nous amènent à un constat dramatique : le patriarcat est absolutiste et on le retrouve partout aussi bien dans les traditions, que les religions. On le retrouve surtout dans ce modèle dit « occidental » qui n’est rien d’autre qu’une société du spectacle, où les individus sont médiatisés par des images. Cette société occidentale crée ses extrémistes, la haine et la violence en détruisant l’identité. Dans ces conditions, il n’y a rien de plus beau que ces deux portraits de jeunes femmes qui revendiquent aussi bien leur féminité que leur individualité n’appartenant à aucune tradition, rite, religion ou à ces hommes qui veulent les posséder.

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