Nous sommes en temps de guerre, et notre nation, comme beaucoup d’autres, doit faire face à une menace plus grande que celles auxquelles elle a dû faire face auparavant. Il convient donc à tous, par souci patriotique, de soutenir son pays et même sa race. Mais pas d’inquiétude, car si cette amorce semble presque tirée des discours politiques actuels, ici nous parlons de cinéma. Et la seule menace à laquelle doit faire face l’humanité est une race extraterrestre provenant d’une planète nommée Klendathu. Aucune surprise que le synopsis du film de Paul Verhoeven – datant pourtant de 1997 – soit aussi actuel. D’abord parce que son thème guerrier est omniprésent dans l’actualité, mais aussi parce qu’il passe son temps à dynamiter des problèmes récurrents du milieu cinématographique, par ailleurs reflets d’autres problèmes sociétaux. L’omniprésence de l’acteur blanc occidental, pour commencer, renforcé ici par ce look très Melrose Place qui lui est affublé. Pas un seul des protagonistes n’y échappe, au point de donner au tout cette patine soap opera si mal comprise par ses suites. Tout le monde est beau, blanc, grand et musclé. Surtout, ils vivent tous dans cette communauté utopique, unie dans le rejet de l’étranger, représenté là par des insectes purulents venant d’une planète lointaine. Et quand est-il du reste ? Il tient dans une esthétique particulièrement aseptisée, où le playboy côtoie le cul-de-jatte, la violence le sexe, l’abjection la virilité. Plus le film s’enfonce dans la violence gratuite et plus il éructe de sa bêtise, ce qui en fait cet objet hybride de cinéma si intelligent qu’il se reflète encore sur notre société.
Pour reprendre le terme d’Hervé Aubron, Trump Troopers, le film de Paul Verhoeven est le reflet d’une Amérique passée et actuelle. Les images de batailles sont manipulées dans l’ambition d’en faire un spectacle, le héros de guerre est au centre de tout, et l’ennemi commun devient le seul véritable objectif que se fixe la nation. Dès lors, si on remplace les insectes du film par des membres de l’Etat Islamique, vous ne verrez pas le propos changer d’un iota. Les « experts » vous diront quelles tactiques nous devons mettre en place pour affaiblir l’ennemi, les soldats continueront d’aller se faire réduire en miettes et les politiques seront toujours le cœur sur la main, prêts à prendre leurs responsabilités dans la guerre qu’ils ont engendrés. Sans oublier cette société capitaliste et consommatrice, entièrement dévouée à l’annihilation d’une espèce qu’elle n’a même pas cherché à comprendre – en cela, la fin du métrage glace le sang – et véritable écran d’une propagande décomplexée. Les enfants s’amusent à tuer, jouent avec les fusils des soldats et rêvent de revêtir l’uniforme. Au final, la communauté décrite se reproduit pour combattre, établir sa suprématie et conquérir l’univers en écrasant toute culture étrangère.
La sortie de Elle, il y a de cela quelques mois, a permis de revoir dans des rétrospectives dédiées au réalisateur ce chef-d’œuvre d’humour noir et de virilité décomplexée. Si Elle a reçu de nombreuses invectives, Starship Troopers avait d’ores-et-déjà permis à Verhoeven de se préparer aux torrents d’insultes. Un film qui dénonce et ridiculise le néo-colonialisme américain – et bientôt français ? – aussi ouvertement ne pouvait qu’être l’œuvre d’un nazi. Il est parfaitement regrettable que le Festival Cinéma en Plein-Air de la Villette ait vu la projection du film annulée car il offrait la possibilité à de nombreuses personnes de se rendre compte que la science-fiction est un vivier créatif, capable de faire vivre l’actualité à travers la lutte d’hommes et d’insectes. De prouver qu’à n’importe quelle époque, la bêtise et la violence prennent souvent le dessus sur la réflexion et l’ouverture aux autres. De là à s’imaginer que le festival n’ait pas eu la possibilité de le diffuser seulement en raison du sous-texte véhiculé par le film, il n’y a qu’un pas qu’on se refusera de franchir. Il reste en tout cas un divertissement si jubilatoire qu’il peut encore donner des leçons à de nombreux faiseurs qui s’entêtent à répéter les mêmes recettes.