Capitaine Thomas Sankara : portrait d’un révolutionnaire

En France, on connaît à peine son nom ; et quand il nous dit quelque chose, on ne sait pas toujours à quel pays et à quelle histoire le rattacher. A moins d’avoir voyagé en Afrique de l’Ouest, beaucoup de français ignorent tout ou presque du Capitaine Thomas Sankara. Du moins, c’était mon cas et ce qui ressort d’un petit sondage effectué auprès de mon entourage. C’est le premier mérite du film de Christophe Cupelin Capitaine Thomas Sankara, nous faire découvrir un grand homme politique africain des années 80, révolutionnaire authentique et remarquable orateur. En quatre ans à la tête du Burkina Faso, il a initié les bases d’une révolution pour transformer en profondeur son pays. Il suffit d’aller se balader sur la toile pour voir qu’aujourd’hui en Afrique, Thomas Sankara reste une légende, une sorte de « che africain », proclamé « modèle pour la jeunesse africaine » lors du forum social africain de Bamako en 2006.

Montage d’images d’archives, sans commentaires ou presque, Capitaine Thomas Sankara nous replonge dans l’extraordinaire effervescence que connut le pays avec l’arrivée de ce nouveau leader. Militaire influencé par les idées marxistes, Sankara est un personnage charmeur, intelligent, farouche combattant de l’impérialisme. Lorsqu’il prend le pouvoir en 1983, à la faveur d’un coup d’Etat, il commence par changer le nom du pays : l’ancienne colonie française, la Haute Volta qui avait obtenu son indépendance en 1960, devient Burkina Faso, littéralement Terre des hommes honnêtes. L’objectif est de rompre avec l’héritage néocolonial français et d’inscrire jusque dans le nom du pays la volonté d’en finir avec la corruption qui ravage l’économie du pays et entretient les inégalités. Si Sankara veut s’affranchir de la tutelle de la « Françafrique », milite pour l’indépendance économique et l’autosuffisance alimentaire de son pays, il souhaite aussi s’attaquer à la mentalité de l’homme africain, à ses traditions ancestrales qui freinent la modernisation du pays. Bref, Sankara fut une sorte de révolutionnaire maoïste qui savait que pour changer l’ordre du monde, il ne suffit pas de faire de lois mais de changer aussi la mentalité des hommes qui le peuplent.

En racontant les quatre années de Thomas Sankara à la tête du pouvoir au Burkina Faso, Christophe Cupelin ne réécrit pas seulement une page d’histoire trop méconnue en France, il veut nous faire partager sa « passion » pour l’homme. Il faut dire que c’est Sankara qui est à l’origine de sa vocation de cinéaste. En 85, lorsqu’il débarque à 19 ans au Burkina dans le cadre d’une mission humanitaire, Christophe Cupelin est un jeune homme ne sait rien du pays, ni de la révolution qui y est en cours, pas plus qu’il ne sait ce qu’il veut faire de sa vie. Mais, il est vite gagné par l’engouement qu’il perçoit chez les burkinabés pour leur nouveau chef. C’est là qu’il décide de faire du cinéma dans l’idée, qu’après sa formation de cinéma à l’Ecole des Beaux-arts de Genève, il deviendra réalisateur officiel au service de la révolution. La mort de Sankara en octobre 1987 suite à un coup d’Etat fomenté par son lieutenant et meilleur ami, Blaise Campaore, sonne le glas de ce projet.

28 ans plus tard, Capitaine Thomas Sankara est l’hommage que rend le cinéaste à celui qui a bouleversé son existence, une sorte de film de propagande post-mortem. En effet, le documentaire passe sous silence les débordements inévitables auxquels a donné lieu la révolution ; il n’a aucune prétention à l’objectivité. Ponctué par des préceptes tirés des discours de Sankara, le film a quelque chose du prêche qui diffuse la bonne parole de la révolution. Les seuls éléments de critiques apportés le sont par Sankara lui-même qui, en bon révolutionnaire, ne craignait pas l’autocritique. Ainsi, entre autres, il parle de ses regrets et même de ses larmes lorsqu’il repense aux sept personnes fusillées sur ses ordres au lendemain du coup d’Etat d’août 1983. Ces quelques passages dans lesquels Sankara porte publiquement un regard critique sur son action sont ce qui précisément, pour Christophe Cupelin, fait toute la force et l’actualité de Thomas Sankara. En effet, quel homme politique aujourd’hui oserait dire aussi clairement qu’il a eu tort et qu’il regrette ? Quel Chef d’Etat pourrait dire : « pour 100 choses ratées, il y a eu trois ou quatre choses réussies » ? A rebours de toute la communication politique contemporaine, dont nous sommes saturés jusqu’à l’overdose et qui exhorte à ne jamais se déjuger, à ne jamais laisser voir ni reconnaitre ses failles, Sankara montre une autre manière d’exercer le pouvoir. Chef d’Etat non élu, il se fait fort de parler au moins avec honnêteté et pédagogie à ceux qu’ils gouvernent. Et quand on l’entend à la télévision, à la tribune de l’ONU ou devant un parterre de noirs à Harlem, Sankara restitue toute sa force à une chose à laquelle de nos jours nous avons de plus en plus de mal à croire : la parole politique.

Capitaine Thomas Sankara, de Christophe Cupelin – Actuellement en salles

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