Il est d’usage de commencer une critique par quelques phrases d’énonciation sur le film en question. Knight of Cups pose à ce titre problème. Et à lire le synopsis qui lui est dédié sur Allociné, on attend le type qui réussira à faire la différence en n’évoquant ni un « chemin de vie » ni une « déambulation dans l’espace », ce qui ne veut pas dire grand-chose.
Pourtant, Malick était autrefois un conteur d’une rare intensité. Jusqu’à The Tree of Life, il avait su se faire brillant tout en restant sage. Ses récits était beaux, forts et limpides bien qu’emprunts d’une complexité certaine. Un melting-pot applaudi de tous, du badaud au spectateur du Grand Palais cannois. L’expérience et la maîtrise de ces films-ci et la réputation que Malick en a tirée lui ont aujourd’hui permis de pousser son art plus loin, là où certains y verront une forme de radicalité. Dans Knight of Cups, il abandonne l’idée de l’homme/acteur en tant qu’interprète de son œuvre. Christian Bale, Cate Blanchet ou encore Natalie Portman matérialisent des pensées, des sentiments. Malick épure ainsi ces grands noms du cinéma Hollywoodien en tant que chair et os mouvants, baignés d’amour ou de haine. Leurs dialogues et intentions n’ont plus l’once d’une importance, puisque le concept même de « scène » et de « séquence » disparait pour laisser la place à un autre chose, profondément déstabilisant. En évacuant l’idée d’une direction d’acteurs traditionnelle, Malick s’autorise enfin à attribuer le premier rôle à ce qui l’interesse vraiment depuis toujours : l’énergie vitale et universelle.
La question « comment filmer l’invisible ? » n’a jamais eu autant de sens que dans Knight of Cups, où la fascination de Malick pour le vide et le tout, ainsi que la fusion des deux, devient le seul récit tangible du film. On ne parle alors plus de plans mais de captures, plus de scènes mais d’instants, plus de scénario mais d’une suite de sensations sonores et visuelles. Malick formule un langage d’un inédit suprême, de la composition des images à leur mise en rapport. Comme toute chose qui nous échappe, le contact n’a rien d’évident, il est rugueux, déconcertant.
En somme, il est le pire cauchemar de l’usine cinématographique actuelle. Quelle angoisse que ces projections où les gens ne recevraient pas une sorte de SMIC de compréhension, un minimum garanti de références communes et rassurantes où les acteurs font les acteurs et où le cinéaste leur fait dire et faire « comme dans la vie ». Malick réalise Knight of Cups vierge de toute convention, c’est à croire qu’il s’est lavé de presque tout ce qui a été fait avant lui pour faire cette œuvre « pure ». Sa forme de narration appelle à ouvrir très grands ses yeux et ses oreilles, à affûter au plus profond sa sensibilité primaire. Tout prend racine dans une foi constante du cinéma à nous éveiller, au sens littéral du terme. Tout comme les tableaux de maîtres ou les grands airs d’opéras, Knight of Cups déploie l’essence de son art pour « élever ».
Génie pour certains, imposteurs pour d’autres, Malick confirme au delà de toute critique son statut de mythe vivant. Knight of Cups fera ainsi date, pour tous ceux qui aspirent au goût du jamais-vu.
Knight of Cups, de Terrence Malick avec Christian Bale – Sortie le 25 novembre 2015