Année 1996, la cour du collège Notre-Dame dans toute sa banalité. Pause déjeuner, je quitte le réfectoire pour rejoindre mon « contact », qui m’attend devant la machine à Coca. C’est la figure anxieuse qu’il scrute ma venue au loin, ponctuant son regard par de petites œillades autour de lui et s’assurant ainsi que la voie est libre.
Je vais bien ? Oui, merci. J’ai été suivi ? Non, j’ai vérifié. Si on me prend ? Je ne dirai pas qui me l’a donnée.
Avec l’assurance de mon mutisme, Julien C. ouvre son sac et me tend une VHS maison, reconnaissable par son étui en carton élimé et son étiquette collée de travers. Par précaution, mon ami a pris soin de dissimuler son méfait, apposant un faux titre sur la cassette, Tintin en Amérique. A peine ai-je posé mes mains dessus que je suis gagné d’une ivresse. L’après-midi traîne en longueur. La fois où j’ai acheté Tomb Raider entre, midi et deux je n’ai pas tenu. Je suis rentré chez moi y jouer, prétextant un terrible mal de ventre qui ne trompa ni l’école, ni mes parents. Cette fois-ci, je ne peux pas craquer. Même pendant la récréation de 16h, je ne quitterai pas mon sac Eastpak, qui renferme mon précieux trésor…
Comme certains enfants des années 80, mon « refuge » est équipé d’un combiné TV/magnétoscope 36cm. En l’installant dans ma chambre, mes parents n’ont pas uniquement acheté la paix sociale, ils ont aussi contribué à l’éclosion de mon appétit féroce pour le cinéma sous toutes ses formes. Dès mon arrivée à la maison, je me précipite dans mon « sanctuaire ». Fébrile, je sors la cassette de son fourreau , l’insère dans le combiné, et c’est la main moite que je presse le bouton LECTURE. Sautes d’images, trames visibles, flou – à l’époque, la qualité semblait formidable. L’image apparaît, c’est la fin d’un JT de nuit. AVANCE RAPIDE. Une publicité pour une voiture qui ressemble à une antiquité maintenant. AVANCE RAPIDE. Présentation des programmes du lendemain. L’espace d’une seconde, j’imagine mon ami, tapi dans l’ombre de son salon, la peur au ventre, réalisant cet enregistrement pirate pendant le sommeil de ses parents. Enfin, le film démarre et me rappelle par son carré blanc, en bas de l’écran, que je n’ai pas l’âge requis pour le spectacle. Scène d’introduction et apparition du titre, COLOR OF NIGHT. Il y est question d’un psychiatre assassiné, sûrement par l’un des patients névrosés de son groupe de travail. Bruce Willis, psy lui aussi et ami du défunt, décide de faire la lumière sur son meurtre en reprenant le groupe de travail.
Passée une heure de film, ma patience est sérieusement entamée quand arrive enfin LA séquence. Julien m’avait prévenu, tu vas voir, y a une trop bonne scène de cul au milieu, on voit la bite de Bruce Willis aussi. Rien à faire de sa b…, je n’ai d’yeux que pour Jane March. Elle embrase l’écran cathodique, somptueuse dans sa robe rouge qui tente de couvrir pudiquement ses formes. Poussée dans la piscine par Bruce Willis, ni une ni deux, la voilà dans le plus simple appareil. Peau légèrement hâlée, seins fermes aux courbes délicates, toison taillée mais sauvage, c’est l’image du corps féminin parfait que je me figure à l’époque. Durant 5 minutes d’acrobaties, dans la piscine, la chambre et la douche, plus rien pour moi n’a d’autre intérêt que Jane March et son corps dénudé, qui ne semble offert qu’à moi. Mon palpitant s’emballe, je bouillonne, d’où provient cette soudaine chaleur qui enflamme le creux de mon ventre ? A l’image, entre deux positions tantriques du couple Willis/March, des deltaplanes volent à l’unisson dans le ciel de Los Angeles. Ce que ce plan vient faire là, c’est un mystère. Je ne réponds plus de rien, ma main souhaiterait descendre plus bas mais un éclair de culpabilité catholique – merci le catéchisme – interrompt mon geste. Et puis mince, tout le monde le fait non ?
Des pas dans l’escalier qui mène à ma chambre m’interdisent de découvrir le soulagement. Je tente de reprendre mes esprits, mais c’est peine perdue, la fièvre se lit sur mes traits. Aussi, il me faudra plusieurs minutes avant de venir saluer mes parents. Comme un dépucelage, la révélation de cette scène a fait naître en moi une fierté intime et discrète. Celle d’avoir brièvement rejoint, dans l’interdiction, un univers adulte, suave, charnel, ayant pour effigie Jane March et son insolente nudité. Le lendemain, je transmettrai la VHS à François G. avec un sourire gêné et un soupçon de jalousie. Et quelques mois plus tard, ce seront d’autres cassettes vidéo, beaucoup moins chastes, qui s’échangeront sous le manteau comme des marchandises de contrebande, mettant un terme, par la même occasion, à mon initiation au désir à travers un certain érotisme hollywoodien. Au même titre que Sliver ou Piège en eaux troubles, Color of Night est l’archétype du thriller érotique des années 90. Comme d’autres monuments de mon adolescence, je ne pourrais jamais revoir ce film sous peine de fissurer l’intensité sensuelle de mon souvenir, dont les contours fragiles ne résisteraient pas à l’épreuve du temps.
http://www.dailymotion.com/video/xznl8b_jane-march-rare-sex-scene-color-of-night_redband
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Jusqu’à présent, la première du film a été une impression et une émotion impressionnantes. Depuis longtemps je n’ai pas eu le plaisir de regarder un film!
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