La cinquième et dernière saison de Boardwalk Empire s’est achevée le 26 octobre dernier sur HBO. A l’heure des bilans, la première chose à remarquer est que, malgré de nombreux atouts (élégance et fluidité de la réalisation, solidité des caractères), la série de Terence Winter n’est jamais vraiment parvenue à entrer dans la cour des grandes. La faute en revient principalement à une écriture bien trop classique mais aussi à des thématiques déjà souvent traitées : l’argent, le pouvoir, et la solitude, soit le portrait type du gangster américain.
Pourtant, durant trois saisons, Boardwalk Empire avait su construire un remarquable édifice dont la fondation était évidemment l’époque, – cette prohibition joyeuse dont Nucky Thompson fut l’un des principaux bénéficiaires. Dans cette nuit profonde du début du XXe siècle scintillaient les étoiles des prestations sans faute d’un casting proprement génial – Steve Buscemi, Michael Pitt, Michael Shannon, Kelly McDonald, Shia Wigham, Michael Stuhlbarg… un véritable festival du name dropping. Après une première saison éclatante, la saison 2 décevait un peu à cause du personnage de James Darmody, insuffisamment développé. Son caractère suicidaire et son comportement erratique lui donnait parfois des allures d’idiot, ce qui n’était probablement pas volontaire. Mais brique après brique, cet édifice nous avait conduit à l’incroyable festival meurtrier de la fin de la saison 3.
Ce sanglant final était réjouissant dans la mesure où il rassemblait de manière virtuose tous les fils narratifs jusque là développés : le rapport ambiguë de Nucky avec son homologue New-Yorkais Arnold Rothstein, le ressentiment de Gillian Darmody, l’ambition dévorante de la nouvelle génération de mafieux italos-américains, représentés par le fou furieux Gyp Rosetti… cette mixture explosait en une guerre des gangs foudroyante menée de main de maître par Terence Winter et son équipe.
Durant la quatrième saison, les choses se sont un peu gâtées, l’impression dominante étant celle de scénaristes essayant tant bien que mal de faire repartir une série qui avait déjà trouvé sont climax parfait, et ne pouvait donc pas monter plus haut. Cette saison avait malgré tout le mérite de braquer le projecteur sur le personnage de Chalky White et plus généralement sur la communauté noire d’Atlantic City. Mais cette belle idée était constamment parasitée par des développements narratifs pour le moins artificiels : la création par Nucky d’un réseau s’étendant jusqu’à la Floride, les déboires opiacés de Gillian Darmody… Tout cela, malgré la présence d’une Patricia Arquette formidablement gouailleuse, paraissait vain, sans âme, à l’image peut-être de la solitude nouvelle de Nucky Thompson. D’autant plus qu’à ce stade, la série ne masquait plus son mépris pour des personnages féminins qui, constamment relégués au second plan, étaient ici évacués dans les grandes largeurs, voire littéralement sacrifiés.
La cinquième et dernière saison, d’une durée de huit épisodes seulement, tente de rattraper le coup après une ellipse de sept années. Elle relie la fin du nabab Thompson avec ses tout débuts, en une suite de flash backs dont l’utilité parait douteuse, tant ce qui est montré est redondant. Plus intéressantes sont les scènes au présent, en plein krach boursier de 29, redessinant à grande vitesse la carte politique et criminelle des USA. Dans ce contexte, la fin de carrière de Nucky Thompson ne prend pas la forme d’une dernière flamboyance (comme par exemple celle d’Al Capone, se présentant à son procès avec un costume clinquant, cigare au bec), mais plutôt celle d’un lent renoncement. Où l’on voit enfin une émotion perler au coin des yeux d’un personnage habituellement retranché derrière une attitude froidement pragmatique. Mais si l’on apprécie cet accent mélancolique (appuyé ici mais présent en filigrane depuis les débuts du show), on pourra renâcler devant la volonté des créateurs de pointer trop précisément la faute morale originelle de Nucky Thompson. Comme si un seul geste suffisait à entrainer un homme dans sa chute!
A ce titre, Breaking Bad montrait bien mieux comment la déviance était le fait de petits pas de côté plutôt que d’un grand pas en avant. Boardwalk Empire se conclut ainsi en demi-teinte, par un retour de bâton moralisateur peu convaincant car, sans doute, peu convaincu, l’absence de passion étant le lot de la série depuis longtemps.
Malgré tout, on doit reconnaitre le plaisir sincère procuré pendant un moment par la fréquentation de personnages hauts en couleur dont la fin fut souvent à la hauteur de leur folie (le vétéran Richard Harrow, le détective Nelson Van Alden, et même le marjordome Eddie Kessler), la qualité constante de la reconstitution, et surtout, par la grande classe des épisodes (18 au total) réalisés par le plus grand metteur en scène de télévision : Tim Van Patten.
Boardwalk Empire, saison 5. Série créée par Terence Winter. USA, 2014, 8×55 minutes. La saison 5 a été diffusée sur HBO entre le 7 septembre et le 26 octobre 2014; elle est disponible sur OCS jusqu’au 25 novembre 2014.