Self Made (le jour où… rien)

Cette année, notre rédactrice Louise Riousse représentait Cinématraque au sein du jury du Prix Révélation France 4, présidé par la cinéaste Rebecca Zlotowski : compte-rendu et critique des films de la sélection.

Je ne savais pas, au moment d’entrer dans la salle, que je n’en tirerais rien. Quel drôle de sentiment que celui d’avoir vu sans regarder, d’être demeurée absolument imperméable à des images, des dialogues, des personnages, et de ne ressentir rien d’autre qu’un malaise qu’on voudrait arrêter net. C’est pourtant ce qui est arrivé ce jour-là.

Après Les Méduses, sélectionné à la Semaine de la Critique et lauréat de la Caméra d’or en 2007, Shira Geffen a présenté cette année son second long métrage, Self Made, qui raconte les vies de Michal, une artiste contemporaine israélienne, et de Nadine, une arabe qui remplit des sachets de vis pour l’Ikea local. Dans Self Made, Shira Geffen reprend à son compte l’absurdité d’un monde régi par des règles ridicules – même les soldats postés aux barrages de contrôle les considèrent comme telles – que chacun applique tout de même sans broncher. Elle observe leur impact direct et indirect sur la vie de deux femmes qui, par un concours de circonstances, vont échanger leurs vies à un checkpoint.

Comme pour symboliser l’incompréhension qui règne dans le pays, Shira Geffen tente avec Self Made de s’aventurer sur la piste fantastique – dont elle se réclame –, sans pour autant l’assumer pleinement. Quand le genre repose sur le surgissement d’événements inexplicables, la réalisatrice tend plutôt à superposer des événements incompréhensibles, et inscrit son film dans la tradition de l’absurde. L’incompréhension se limite donc malheureusement à l’empilement de situations que ni Michal ni le spectateur ne peuvent déchiffrer, d’une vis manquante pour monter un lit à un entretien loufoque mené par une journaliste allemande, qui compile tous les stéréotypes. Toutes ces énigmes recouvrent visiblement un double sous-texte. D’une part, la critique d’une société qui semble avoir perdu toute notion de bon sens. A ce titre, une incartade savoureuse entre une jeune soldate israélienne, qui soupçonne Nadine de cacher une bombe à retardement dans son lecteur MP3, et ses collègues, révèle la possible dimension comique du film de Shira Geffen. D’autre part, la satire pour le moins simpliste de l’art contemporain par le truchement de Michal, artiste performeuse, dont le plus grand fait d’armes consiste à avoir subi une hystérectomie pour faire de son utérus un sac à main exposé à travers le monde.

En guise de contrepoint rationnel et traditionnel, comme pour minimiser son propos, Shira Geffen fait intervenir l’obsession de Nadine pour le fait de devenir mère. Sans que l’on comprenne vraiment pourquoi, le mari de Michal l’exaucera. Si le règne de la confusion est pourvoyeur du meilleur, quand par exemple un sublime chef cuisinier fait irruption chez Michal (et du violon torse nu pour attendrir la chair des crabes qui serviront au festin),  il est aussi capable du pire. Car, si les saynètes comiques fonctionnent à plein, elles ne s’intègrent jamais vraiment à la fable sur l’état et l’Etat d’Israël que Shira Geffen tente de conter. Reste alors une petite farce parfois caricaturale et souvent confuse.

Self Made, Shira Geffen, avec Sarah Adler, Samira Saraya, Doraid Liddawi, Israël, 1h29.

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