Le vide de Juliette

Juliette, c’est à la fois le nom de l’héroïne et le projet du film. Lequel se donne assez basiquement sous la forme suivante : le passage de l’enfance à l’âge adulte pour une jeune fille de 25 ans. Mission en soi : ils sont nombreux, les cinéastes à avoir voulu filmer cette latence entre la douceur de l’âge tendre et la réalité de l’âge adulte. Peu subtil, le titre qui ouvre le film, Like a Child de Junior Boys, nous le fait comprendre. Pierre Godeau, jeune réalisateur, s’y essaie aussi en donnant vie à un personnage féminin-un-peu-masculin qui, à travers la philosophie du carpe diem, s’applique consciencieusement à ne rien faire de sa vie.

Juliette nous donne à partager les petits détails d’une vie, depuis les battements de cœur jusqu’aux affres des amours déçus ; Astrid Berges-Frisbey (Juliette) livre tout ou presque. A tel point qu’on se demande ce qui distingue ou singularise le film. Le réalisateur ne donne pas particulièrement d’épaisseur à son héroïne. Bien qu’il l’aime (il l’a créée), et que son affection se ressente à travers sa mise en scène, il ne lui accorde aucune particularité, pas même un trait de caractère, sinon celui de se laisser en permanence porter par la vie.

Cette chronique d’une fille quelconque n’est composée que d’errances, de balades sur la plage, d’aventures sexuelles, de petit-déjeuner avec son premier amour et de visites à son père hospitalisé (Féodor Atkine). De la réalité de la vie, entendre ici de la nécessité du quotidien (se nourrir, se loger par exemple), rien ne l’atteint. Sorte de surmoi incarné, la présence de la sœur (Elodie Bouchez) vient rappeler à cette jeune fille qu’elle doit grandir, et que cela signifie goûter aux plaisirs prosaïques du travail et, par-là même, des responsabilités.

Pierre Godeau affirme : « Le film tient, au fond, la chronique d’une errance, d’une période de latence (…). Avant, on finissait ses études, on trouvait un travail, on prenait un appartement. Aujourd’hui, mes amis espagnols, la crise aidant, cherchent un emploi et habitent encore chez leur parents. Mes copains français, eux, enchaînent les stages jusqu’à l’âge de 30 ans. Ils n’ont pas de statut. (…) Par sincérité, j’ai choisi d’inscrire Juliette dans mon milieu. » Mais qu’est-ce à dire? Parce que Juliette ne fait rien. Littéralement rien, sinon habiter son appartement, regarder des films et aller voir son papa a l’hôpital. Vraiment ? Si c’est là le milieu de Pierre Godeau, tant mieux pour lui, Juliette est un personnage bourgeois, l’incarnation de celles dont, au XVIIIe siècle, le seul travail était d’être une femme (comprenez rien), avant d’être un utérus. Si, en revanche, Godeau souhaitait capter les tourments de la jeunesse d’aujourd’hui, c’est raté. Avec toute la bienveillance qu’un parent puisse leur porter, ils sont rares, ceux qui, entre la fin de leurs études et le début d’une vie active, goûtent sans complexe aucun à une telle liberté. Pas sûr que ses amis espagnols ou français d’ailleurs, choisissent de vivre chez leurs parents et se gargarisent d’un tel usage du temps. Etrange complaisance. D’autre part, vivre chez ses parents, c’est tout de même autre chose qu’habiter, à la façon de Juliette, un appartement gigantesque, seule, en plein Paris (payé par papa, on s’en doute).

Hors de ce contexte social et économique, Juliette est une jeune fille décrite comme moderne, entendons par là sans attaches. Elle s’amuse de tout, y compris de ceux qui l’aiment. De façon assez prévisible, alors, un événement tragique la pousse à grandir, à comprendre que faire du mal aux autres se paie tôt ou tard et que, dans la vie, il faut faire pour exister. Si le film a des qualités, c’est donc malgré sa trame narrative, agrémentée pourtant d’une playlist musicale des plus agréables (The Do, Soko, Devendra Banhart, Trentemoller…).

En revanche, hors de cette trame somme toute nombriliste, lorsque le film nous prend véritablement par la main pour nous raconter une histoire, il touche à des moments de grâce, hors du temps. Ces échappées métaphoriques, forme d’histoire dans l’histoire, racontent plus généreusement l’enfance et ses phantasmes. Juliette est alors prétexte à mettre en scène une autre histoire, un conte, celui d’une véritable enfant qui traverse les espaces. L’enfance y semble plus lyrique, visuellement plus inventive. De la même façon, la relation de Juliette a son premier amour (interprété par Yannick Landrein), qui n’a de cesse de s’éteindre, embrasse dans ces à-côtés une mise en scène singulière et une poésie certaine.

Retenons alors, de ce premier film, la fougue d’Astrid Berges-Frisbey et le monde intérieur de Philippe Godeau.

Juliette, Pierre Godeau, avec Astrid Berges-Frisbey, Féodor Atkine, Elodie Bouchez, France, 1h21.

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