Il restait des sièges vides hier, salle Debussy, pour le dernier film de Claude Lanzmann. Bouleversement dans ma journée, deux fois je ne pus assister aux projections, faute de place. A cette projection-ci, j’arrive 5 minutes en avance et n’ai que l’embarras du choix quant à mon emplacement. Le film commence et je regarde de mon balcon, les lumières s’éteindre sur le visage de Claude Lanzmann, pour 3h40.
Reprenant le procédé de Shoah (retour sur les lieux de l’événement en question), Le dernier des injustes nous montre Lanzmann déambulant sur les traces d’un passé qu’il ne cesse de vouloir éclaircir, comprendre, expliquer. Utilisant ses entretiens filmés dans les années 60 avec le dernier doyen des Juifs Murmelstein, il explore un nouveau pan de l’histoire du génocide juif.
La durée du film en effraya plus d’un, mais les minutes s’enchaînent pourtant avec une fluidité et une intelligence absolues. Prendre ce temps-là, sans se soucier des pieds impatients qui taperont sur le siège du voisin, de la nuque qui tiraillera aux alentours de la troisième heure, c’est la position infiniment belle et courageuse de Lanzmann depuis tant d’années. Plus qu’une envie de cinéma, d’un besoin, d’une idée, c’est un cinéma du devoir qu’il incarne et revendique. Si cette démarche exclut la modestie, on ne s’y attarde pas tant l’œuvre réussit le pari de la rencontre ultime entre histoire et cinéma.
C’est à tout cela auquel je pense lorsque à la fin de la projection, je participe durant plusieurs minutes aux applaudissements. Claude Lanzmann nous regarde longuement, ému aux larmes que son cinéma, ce qu’il porte, ce à quoi il a donné la parole, ait été entendu. Son acharnement n’aura pas été vain.
Le Dernier des injustes, de Claude Lanzmann, avec Claude Lanzmann, France, 3h40.