Qu’attendais-je de Jimmy P. que n’ai pas retrouvé dans le film ? Qu’est-ce qui pourrait justifier mon non-enthousiasme immédiat, voire mon humeur dubitative actuelle, sur le vif, au sortir de la grande salle ? Récit d’une matinée inattendue…
J’ai souvenir ce matin, au moment de ma douche, alors que je partageais le local sanitaire avec un gentil monsieur moustachu regardant ses affaires sécher, de m’être quelque peu démotivé à l’idée d’aller dès l’aube voir Jimmy P., d’Arnaud Desplechin, le film qu’en amont du festival j’attendais pourtant le plus impatiemment. En effet, dehors, la pluie redouble d’efforts pour me renvoyer au lit, et Desplechin a apparemment troqué la langue française pour l’anglais. De ses films, ce qui m’a jusqu’ici toujours le plus touché, amusé et ébahi, c’est la musicalité de ses dialogues, le beau parler français assumé. Esther Kahn m’avait moins convaincu que tous ses films tournés dans la langue de Molière… Jimmy P. serait son second film en anglais, et j’en stressais d’avance.
Jimmy Picard – Benicio Del Toro – est un indien Blackfoot ayant combattu en France durant la seconde guerre mondiale. Blessé à la tête, il est admis à l’hôpital militaire de Topeka, au Kansas, un établissement spécialisé dans les maladies du cerveau. Là-bas il est soigné par Georges Devereux – Mathieu Amalric -, un ethnologue psychanalyste.
Finies les explorations de l’âme d’érudits trentenaires en quête d’un sens à leur vie, les questions restant en suspens et les drames familiaux. Dans Jimmy P., Desplechin expose quelques réponses, ouvrant un nouveau volet à sa filmographie – encore – plus verbeux qu’à l’accoutumée, moins sinusoïdal et plus fastidieux. Rien de cette longue psychanalyse ne nous sera épargné. « C’est la première fois que je fais un film pour deux acteurs », explique le réalisateur en conférence de presse. En effet, la troupe de Desplechin se réduit ici à un fabuleux – pléonasme – Mathieu Amalric, affublé d’un aussi inattendu que génial accent roumain, annihilant toutes les réserves qu’on pouvait avoir quant au manque de musicalité dans les dialogues. Benicio Del Toro, nouveau venu dans cet univers dont on reconnait quand même l’identité visuelle (images léchées et montage très cut) s’accommode également parfaitement de ce rôle peu évident d’indien mystérieux, façon western.
Si le fond du film pourrait évoquer le piètre A Dangerous Method, de David Cronenberg, la forme est quant à elle bien plus modeste, étonnement simple, linéaire, et assez décevante. D’Arnaud Desplechin on aime les tentatives, l’audace, les moments absurdes où son amour du cinéma semble prendre possession de son film, rendant sa mise en scène aussi foutraque que les âmes de ses protagonistes : des transitions inattendues, des ellipses, du théâtre filmé… Les seules digressions qu’il s’accorde ici sont de belles explorations de rêves peuplés d’ours et de renards.
Trop modeste, pas assez foutraque, les défauts que l’on pointe du film seraient, entendons-nous bien, autant de qualités pour quiconque n’a pas le patronyme de Desplechin. Trop maîtrisé, trop soigné, trop parfait. Arnaud Desplechin va mieux. Et c’est tant pis pour moi.
Jimmy P. (Psychothérapie d’un indien des plaines), d’Arnaud Desplechin avec Mathieu Amalric, Benicio Del Toro, Gina McKee, France/Etats-Unis, 1h56