Après le succès critique quasiment unanime d’Un Poison violent, son précédent film présenté en 2010 à la Quinzaine des Réalisateurs, Katell Quillévéré revient à Cannes avec Suzanne, son deuxième long-métrage, qui a fait l’ouverture de la Semaine de la Critique. Comme Céline Sciamma en son temps après le succès de sa Naissance des pieuvres, Quillévéré est attendue au tournant. Va-t-elle pouvoir garder son titre de jeune réalisatrice talentueuse qu’on a bien voulu lui prêter durant ces trois années ? Réponse ci-dessous.
Maria (Adèle Haenel), sa sœur Suzanne (Sara Forestier) et leur père chauffeur routier (François Damiens) habitent une petite ville de province du sud comme il en existe tant. Depuis la mort de la mère, les deux sœurs sont élevées par leur père très aimant qui travaille d’arrache-pied pour nourrir sa famille. Katell Quillévéré a le mérite de ne pas prendre les spectateurs pour des cons : avec un réalisme étonnant, elle nous laisse comprendre ces trois personnages, pénétrer leur environnement, leur milieu social et appréhender par nous-mêmes les liens forts qui soudent cette micro famille. On suit comme dans un documentaire la sortie en boîte, le pique-nique sur la tombe de maman et autre barbecue dans le petit bout de jardin. Dans la forme, c’est simple et superbe, Tom Harari, le chef opérateur, distille juste ce qu’il faut d’une lumière froide mais jamais triste, et on se laisse à penser que ‘Tonton Pialat’ ne doit pas être la personne la plus détestée par la réalisatrice. Le personnage joué par Sandrine Bonnaire dans À nos amours ne s’appelait-il d’ailleurs pas Suzanne ?
Le film bénéficie d’une réelle liberté de ton, et de la justesse du jeu des acteurs, pourtant à contre-emploi. On croit tout de suite à la vie de ce petit trio sans le sous mais heureux, qu’on pourrait suivre ainsi jusqu’au générique de fin…Mais Quillévéré voit son film autrement et BAM ! (oui c’est un peu l’effet que ça fait) ; grosse ellipse de plusieurs années, caractérisée par un long noir à l’écran (je dirais environ 5 secondes pour ceux que la précision passionne)… Désormais, les filles sont au lycée, et Suzanne a 17 ans. On prévient son père qu’elle est enceinte et qu’il est trop tard pour avorter, père inconnu, BAM ! (oui à nouveau mais y en a plein, je préfère vous le dire il va falloir vous habituer) ; ces grandes ellipses au noir sont un réel parti pris du film, tant en termes de narration que de montage. Une option plutôt gonflée, mais qui fonctionne très bien, car elle diffuse à la fois impatience et angoisse de découvrir ce qui a pu arriver aux personnages pendant ce temps, les événements marquants ayant systématiquement lieu pendant l’ellipse. Ces changements d’époques sont chaque fois évoqués habilement par une coupe de cheveux, un objet quotidien, ou encore par la musique que l’on entend dans les bars, dans le camion… (au passage : ça fait du bien de réentendre du Noir Désir). Cela nous offre quelque chose d’assez étrange, comme une nostalgie de l’époque qui a précédé l’ellipse, période toujours moins dramatique que celle qui va lui succéder. Donc, je disais BAM ! Et le petit Charlie qu’on n’a jamais vu naître a déjà trois ans. Suzanne rencontre Julien, gentil voyou de Marseille (excellent Paul Hamy) et en tombe follement amoureuse ; comme dans Un Poison violent, le personnage ressent le poids de son destin, tente de l’éviter ou d’y plonger, c’est la part de mystère que le film parvient à garder jusqu’au bout ; et Suzanne part soudain vivre avec lui, disparaissant sans prévenir, en abandonnant derrière elle son fils. Le reste du film nous raconte cette chronique familiale dramatique, en alternance de BAM ! de retour de la mère plusieurs années après, et de disparitions, en passant par la case prison, BAM ! famille d’accueil, BAM ! décès, BAM ! BAM !…
Suzanne est donc un drame, un vrai, mais il ne tombe jamais dans l’écueil du pathos car il ne recherche pas la tension dramatique. Quillévéré, sans aucune manipulation de mise en scène, en se servant avec finesse des ellipses pour nous laisser combler les vides, parvient à nous faire aimer sans borne sa Suzanne, et ce malgré un acte commis par celle-ci, et que l’on pourrait considérer comme odieux. Elle nous questionne, nous touche, nous emporte, et l’on se surprend à comprendre sa sœur qui l’accueille à bras ouvert. La salle se rallume et le talent de la réalisatrice nous saute alors aux yeux, sans qu’il ait une seule fois jamais cherché à le faire.
Suzanne, de Katell Quillévéré, avec Sara Forestier, Adèle Haenel, François Damiens, Paul Hamy, France, 1h30.
(Bon, je râle. Mais pour finir sur une note plus positive : j’aime bien la façon dont vous rédigez vos chroniques)
En revanche, le « succès quasi-unanime » d' »Un Poison Violent » ne n’a pas franchement sauté aux yeux. J’ai trouvé ce film d’une pauvreté sans nom, de la mise en scène à l’interprétation. Et je n’évoquerai même pas le scénario (à moins de partir en divagations néantologiques). Bref, vu en projection presse, puis interview d’une Quillévéré visiblement peu inspirée le lendemain… Quelle déception !
Heureusement que « Suzanne » est arrivée, il est vrai. (et Electrelane en bande-son, aussi.)
Vu à La Rochelle , en présence de la réalisatrice , public muet car relativement scotché …
Je pense que le cinéma français a la chance actuellement de voir naître des auteurs qui nous ouvrent le plaisir futur d’attendre leur prochain film .Justine Triet en est une autre ( La bataille de Solférino )
Même si on ne veut pas l’assommer avec la référence, Katell Q doit bien se dire que Pialat aurait souri dans le noir et bougonner dans la lumière ….
« Il faut parfois que les comédiens taisent leurs émotions pour que le spectateur puisse pleurer » ( la réalisatrice)
Très bon article pour un remarquable film qui se démarque par une justesse d’écriture et d’interprétation éblouissant.