Un auteur ne déçoit que lorsqu’il en est un. Déconcerter, trahir – et pour autant éclairer son oeuvre, passée et à venir – : tel est son privilège. L’évidence vaut d’être rappelée, lorsque, de Passion à This Is 40, il nous faut composer avec la relative (ou supposée) faiblesse des films et, dans le même temps, l’ensemble dans lequel ils s’inscrivent. Ne juger un film que pour lui-même, ou ne choisir d’y voir que ce qui y manque (dans le cas d’Apatow, une forme d’efficience comique), au détriment de ce qui y subsiste, c’est se priver d’une relation privilégiée avec l’auteur. Contextualiser les films, les ouvrir à un discours qui en excède le cadre, tel est donc l’un des attributs de l’exercice critique.
Je l’avoue : je n’ai pas encore vu Spring Breakers. Je ne peux donc pas témoigner du caractère hypnotique – über-pop ou post-MTV – de sa litanie d’images, de son geste godardien ou de sa captation idéale du contemporain. Mais je m’en remets d’ores et déjà, avec un réel bonheur, à la littérature, abondante et variée, qu’il produit (ici-même, notamment), pensant le film – à moins qu’il ne s’agisse plutôt de le rêver – avant même de l’avoir vu. (Cette couverture massive d’un nombre restreint d’objets comporte, à l’occasion, ses effets pervers. Gare à ce que la place accordée aux uns – Korine, Apatow, de Palma, Malick… – ne génère pas d’angles morts, et ne prive pas des cinéastes émergents d’une exposition légitime ; à ce que ne se confondent pas temps médiatique et temps critique. Car si le film sus-cité a semble-t-il vocation à travailler l’imagerie contemporaine, celle-ci, de toute évidence, ne se laisse pas si aisément retourner. Ainsi, lorsque les Cahiers mettent en Une les héroïnes de Spring Breakers, de face et en bikini, et en quatrième de couverture du même numéro, une publicité montrant, de dos cette fois, de jeunes mannequins en maillot, pour un déconcertant effet recto-verso…)
La singularité d’un auteur gît parfois dans les plis les plus ingrats, les plus déceptifs de ses films. This Is 40 n’est sans doute pas le meilleur film d’Apatow : jamais, pour autant, son geste n’avait semblé si évident, comme détouré, d’autant mieux livré au regard du spectateur. Si, considérée dans son entièreté, l’oeuvre ne sauve pas le film de ses nombreuses faiblesses, celui-ci, en revanche, éclaire idéalement l’esprit de son auteur : c’est la raison pour laquelle nous reviendrons ici-même, en deux temps, sur This Is 40.
Lorsqu’une oeuvre vaut aussi par les attentes qu’elle suscite, et les commentaires auxquels elle donne lieu : gageons que tout cela est déjà – puis encore – du cinéma.