Les Chevaux de Dieu, ou la misère érigée en guerre sainte

Il y avait eu Paradise Now en 2005 – film aussi juste que bouleversant sur le déchirement intérieur de deux frères palestiniens embrigadés dans le Jihad pour perpétrer des attentats dans Tel-Aviv. Les chevaux de Dieu ne raconte rien de plus : il dit « seulement » le pire de ce qui est sous-tendu par cette problématique de l’enrôlement au suicide : il ne s’agit pas tant de défendre une cause que d’être en soi l’expression du désespoir, et ce au nom du fanatisme lui-même.

La descente aux Enfers

Dans le film de Abu-Hassad, les frères palestiniens se sacrifient, motivés par la vengeance de leur père tué par l’armée israélienne. Ils manifestent  ainsi leur désarroi et leur impuissance face à cette guerre sans fin, ce chaos de tous les jours qui les a plongés dans une misère sans nom.

Les Chevaux de Dieu sont issus d’un des bidonvilles des alentours de Casablanca (où s’entassent au total encore plus de 100 000 familles). Nabyl Ayouch a pris le soin de nous présenter  les futurs élus du fanatisme religieux avec tendresse et poésie, tentant ainsi de les arracher au décor dont ils sont prisonniers. La vie mi-dramatique, mi-joyeuse, de cette bande de jeunes pleins de vitalité, est déjà marquée par la « guerre » d’avec les gangs opposés du Bidonville. La course effrénée qu’ils mènent pour fuir le danger qui les menace scande le film de scènes magnifiques, dans des décors accidentés de toutes parts. La vue plongeante et récurrente sur l’immense bidonville casablancais nous ramène cruellement aux conditions de cette enfance blessée, et à la vie d’adultes aussi désœuvrés que désabusés.

Contrairement aux ressortissants de Gaza, la misère n’a pas ici le visage d’un ennemi aux traits reconnaissables sous son uniforme militaire. A Casablanca, pas de Check Point pour aller travailler, pas de bombardements intempestifs sur les baraques de fortune ; les barbelés et les murs ne sont « que » psychologiques.
Les candidats aux attentats suicides ne sont pas issus de familles pratiquantes, ils sont seulement les produits de ces affres posant la modernité et l’hégémonie américaine comme responsables de la violence et de la déchéance qui leur a volé leur naïveté.
Les situations qui illustrent le propos du réalisateur sont à la limite de la caricature, et le récit tend à verser dans une expression qui surdétermine chacun des engrenages de la fatalité. La ton du film est pourtant d’une mesure remarquable, gardant pour lui sa retenue en regard de tout jugement sur cette situation dramatique.

Aller simple pour le Paradis

Suite aux attentats du 11 Septembre, la force des opprimés se vit comme révélée dans sa puissance à agir face aux injustices qui règnent dans le monde, mais surtout envers l’immoralité des impies qu’il est urgent de punir. Les bombes humaines sont recrutées pour poursuivre un combat qui dépasse le cadre politique de la récupération d’une terre (comme en Palestine). Il s’inscrit désormais dans un cadre universel, qui élève l’ennemi au rang d’entité abstraite : « le mal », « l’injustice », « les valeurs dépravées de la modernité ».
Le rire de ces enfants innocents disparaît dans une confrontation qui choque autant qu’elle bouleverse : le suicide commandé et les meurtres que ces Chevaux de Dieu commettent est programmé à l’intérieur de leur propre pays. L’attentat frappe quasiment à l’aveugle la bourgeoisie du monde marocain : chrétiens, juifs ou arabes, attablés dans des restaurants chics.

On comprend mal comment un processus de diabolisation aussi arbitraire a pu se développer avec tant d’efficacité, malgré les circonstances sordides qui semblent rendre compte de l’engrenage. On est saisi par cette évidence, en même temps que ces enfants qui, depuis leur naissance, n’ont eu de cesse de se désagréger : aucun combat produisant des bombes humaines ne peut, en fin de compte, s’expliquer par des causes rationnelles.

Les Chevaux de Dieu, Nabil Ayouch, avec Abdelhakim Rachid, Abdelilah Rachid, Hamza Souideg, Maroc / France / Belgique, 1h55.

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